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Le lendemain, c'est un Thierry d'une humeur exécrable que je trouve à l'école. Il pousse quiconque ose le toucher. C'est bien la première fois que je le vois aussi agressif. Il est de manière calme d'habitude. Même avant la dévotion, il sème déjà le trouble. Beaucoup d'élèves le regardent. L'un des gars avec qui il a l'habitude de traîner court en informer les membres de la direction. Et deux d'entre eux retiennent les bras de Thierry. Il gémit mais il se calme un peu.
On fit une courte dévotion et tous les élèves regagnent leur salle de classe. On pouvait même toucher la tension qui planait ce matin-là.

Thierry n'est pas encore rentré en classe. Qu'est-ce qui lui est arrivé ? Quand je l'ai vu ce matin, il semble à quelqu'un qui devait être hanté par de vieux démons. Et c'est à ce moment que je regrette infiniment de ne pas lui laisser cette chance qu'il voulait. La chance de l'écouter, de le comprendre, et de lui parler également. Ma propre tristesse me voilait la face et j'ai cru que j'étais la seule à être blessée, la seule à avoir tous les maux du monde. Mais je m'étais trompée...

* *

- Thierry !

C'est le renvoi et je prends mon courage à deux mains pour lui parler enfin. Il me fait signe de m'asseoir à ses côtés et je ne me fais pas prier.
Il a passé la journée avec une sale mine.

- Ça va ?

Il me fait oui de la tête. Cette froideur, je l'ai bien méritée.

- Je suis désolée de te déranger.

Je m'apprête à partir quand il dit :

- Non, tu ne me déranges pas.

- Et ce matin, pourquoi un tel comportement ? Lui demandé-je avec une certaine inquiétude.

- Sommes-nous amis, Jenny ? Pourquoi est-ce que tu t'intéresses à moi, à présent ?

Il me fixe longuement.

- Je le fais seulement parce que je réalise que tu es comme moi. Tu as enduré des choses difficiles.

- On te l'a dit, n'est-ce pas ?

- Non. Je l'ai compris moi-même.

- Je comprends. Concernant le comportement que j'ai affiché ce matin, cela m'arrive une ou deux fois chaque année. C'est une très longue histoire, me dit-il sur un ton qu'il pense me décourager.

- Et, toute histoire, longue ou courte, se raconte, non ?

Il ne peut pas me décourager car je n'ai pas l'intention de rentrer chez moi maintenant, pas avant qu'il me dit ce qui lui est arrivé.
Il ne répond pas. Son regard se perd dans le vide un instant. Puis il commence en ces mots :

- J'ai un frère et il est mon aîné de quatre ans. Hier, c'était son anniversaire. Il a vingt-deux ans. J'étais donc obligé d'aller le rendre visite. Je le lui avait promis. Il est tout ce que j'ai de plus cher après ma mère. Et il est mon héros malgré sa situation.

Je n'adresse aucun commentaire en vue de ne pas l'interrompre. Il continue :

- Il est en prison et je le lui avais fait la promesse de lui rendre visite mais surtout chaque 11 Mai qui marque le jour de sa naissance.

- En prison! M'exclamé-je sous le choc.  J'en suis navrée.

- Oui. En prison. Il s'appelle William Gabriel. Notre famille vivait en paix malgré les maigres moyens que nous possédions. Mon père n'aimait pas les compromis, ni les dettes alors il s'était sacrifié chaque pour le bien-être des siens. Tout a chamboulé le jour où il a été retrouvé mort dans un accident de voiture ; il était allé réglé une affaire pour son patron. J'avais huit ans à cette époque. L'idée de ne plus le revoir me terrifiait, d'autant plus qu'on ne pouvait même pas financer ses funérailles. Alors son patron s'était  chargé de tout. La misère nous maltraitait tellement que trois ans plus tard, ma mère s'était mise en ménage avec un homme nommé Stephen.

Il marque une pause en vue de jeter un coup d'oeil par-dessus son épaule, comme s'il craignait d'être entendu. Et il ajoute :

- Stephen était un homme aisé. Il pouvait se payer tout ce qu'il désirait. Au début, il payait notre loyer et notre écolage. Et ma mère se créait donc une activité commerciale avec le peu qu'elle possédait pour ne pas tout laisser reposer sur Stephen. Je le considérais comme le beau-père idéal car on ne manquait de rien à la maison. Mais il rentrait toujours très tard disant que son travail lui exige cela. Il ne tardait pas à nous montrer son vrai visage. Ma mère ne se doutait de rien. Il commençait à nous frapper quand ses bottes n'étaient pas nettoyées ou quand nous n'avons pas renouvelé ses cigarettes. Il nous défendait d'en parler à notre mère. Ce fût le début du calvaire !

Il se prend le visage par la main avant de continuer :

- Le soir du dix-huitième anniversaire de William, il est rentré à la maison avec une valise remplie, j'ai cru que c'était du n'importe quoi mais la conversation que j'ai surprise me fait comprendre autre chose. Je l'ai entendu dire à mon frère :
《 Tu n'est plus un gamin, à présent tu vas donc devoir participer à l'argent de la maison. Tu aimes dépenser, non ? Alors tu dois aimer travailler également. Demain avant l'école, tu vas faire la livraison de cette valise à la Citée P.J. et un homme te remettra une bourse. J'ai tout planifié.》

- Et qu'est-ce qu'il y avait dans cette valise ?

- Tu n'est pas une gamine, Jenny. On te dit de faire la livraison d'une valise dans une citée, tu ne vas pas croire que ce sera une valise de livres ou de sucreries tout de même. On habite la première République Noire.

- De la drogue ?

- Oui. Mon frère faisait pour lui des livraisons chaque semaine avant ou après les cours. Et il le payait. J'écoutais les conversations tous les soirs et j'avais tout compris. Stephen le frappait quand il avait pris une somme d'argent manquante auprès des clients. Je vivais avec une peur qui s'est intensifiée le soir où il a giflé William parce qu'il a affirmé ne plus vouloir faire ce genre de travaux. Je l'ai entendu encore lui dire :
《 Tu ne pourras pas dépenser autant que tu veux si tu ne travailles pas. Fais la moindre erreur ou vends la mèche et cela te coûtera ta vie !》

- Tu as donc vécu tout ça ! J'en suis vraiment désolée d'avoir ajouté à tes peines par mon comportement.

- Je te comprends. Pour revenir à ce que je disais, la semaine d'après, William avait des évaluations. Il était en Terminale à cette époque, et le bac était proche. La maison était loin d'être le lieu idéal pour lui de réviser. Il passa alors une nuit chez l'un de ses camarades car avec ces activités illicites, il n'avait même pas le temps de se consacrer à ses études. Cette nuit a été très fatale pour ma mère et moi...

Et Si On Se Trompait...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant