Kerry Jean-Pierre a épousé Cassandre, il y a deux ans. Et dès lors, il est devenu comme mon grand frère. J'ai beaucoup d'estime pour lui. Je l'ai vu depuis le jour des funérailles. Il était inconsolable. Il pleurait à chaudes et douloureuses larmes, moi également d'ailleurs. Depuis, je n'ai pas eu de ses nouvelles et je n'avais même pas la force de le téléphoner. Car la blessure était encore ouverte, ça l'est encore d'ailleurs et il était impossible de lui parler sans faire référence à ma sœur.
Je le vois se rapprocher en deux pas et entourer ses bras autour de mes épaules. Je ne réagis pas sur le coup, puis finis par rassembler mes mains autour de son dos, hésitante. Je l'entends inspirer difficilement. Puis, doucement, il dépose ses lèvres sur le haut de mon front, avant de me serrer fort contre lui. Je vois couler ses larmes.
- Si tu savais comme je suis désolée...
- Non. Tu n'as pas à l'être, Jenny. Je sais que tu traverses une période très difficile, toi aussi.
Plus il parle, plus j'ai mal.
- Je n'ai même pas pu lui parler, Kerry. Même pour une dernière fois, m'éclaté-je en sanglot.
Je ne pouvais me retenir, à présent. Même en plaquant ma main sur ma bouche pour empêcher ce désir de crier de monter dans ma gorge.
Il me lance un regard triste, rempli de douleur et d'amertume, avant de continuer en ces mots :- J'ai l'impression que ma vie est vide sans Sandy... J'ai essayé de fuir notre maison et tous les endroits qu'on a partagé mais rien n'a changé. Je la porte dans mon coeur. Elle hante mes nuits et mes jours. Mes souvenirs d'elle me hantent de plus en plus. Et tu veux savoir quelles ont été ses dernières volontés, puisque tu en parles ?
- Bien sûr. Je sais. Et je te comprends mieux que quiconque.
- Sandy m'a fait promettre de prendre soin de deux enfants. Deux petites filles qu'elles portent dans son coeur. Et tu es la première.
- Vraiment ?
- Oui, m'affirme-t-il avec un sourire. Et c'est ce que je vais faire.
Et la deuxième alors ? Qui est-elle ? me demandé-je à moi-même.
- Rentrons, à présent, lui dis-je simplement sans lui questionner.
Sachez que Sandy est le diminutif qu'avait donné Kerry à Cassandre. N'est-ce pas génial l'amour ? Ah! Oui. Surtout le vrai...
- Je t'apporte un peu d'eau ou une boisson ? Lui demandé-je une fois au salon.
Il esquisse un sourire.
- Avec plaisir, ma grande. Sers-moi une boisson, je te prie.
- D'accord. Je te l'apporte.
Ramenant le geste à la parole, je me précipite vers le réfrigérateur pour prendre un jumex et un verre dans la cuisine. En passant, je lui apporte deux sachets de bonbons. Je dis deux sachets pas deux paquets.
- Votre boisson, M. Jean-Pierre, annoncé-je en lui tendant le plateau comme l'aurait fait une serveuse.
- Merci bien, Mlle Dorval, me dit-il sur le même ton comme pour entrer dans mon jeu. Avais-je commandé des bonbons ?
- Tu n'as pas à t'inquiéter. J'ai pensé qu'il fallait faire accompagner la boisson, tout simplement.
- Tu es un trésor. Merci beaucoup !
- Oui, on me l'a toujours dit. Je t'en prie. Régale-toi ! Sinon que me vaux le plaisir de ta visite ?
Son sourire s'efface d'un coup et je vois une mine inquiète et sérieuse prendre place sur son visage.
- Oui, nous allons en parler. Je t'ai téléphoné hier mais tu n'as pas décroché alors j'ai cru bon de passer vous voir car on a des choses à se dire.
- Hier ? Mais je n'ai pas reçu ton appel !
- Vraiment ? Alors c'est ce qu'on va voir. Vérifie maintenant tes appels d'hier. Surtout les appels manqués.
Je lui tends mon téléphone.
- Vérifie-le toi-même et tu verras.
- Tu veux bien mettre le mot de passe ? Me demande-t-il.
- Tu n'as qu'à taper : 《 Jheenaelle》dans le clavier.
Vite fait, il se dirige vers la liste des appels et tend l'appareil sous mon nez.
- En voici la preuve, Jenny.
- Ah! Ce numéro inconnu qui m'a téléphoné hier ! Comment est-ce... ?
- C'est le mien, me coupe-t-il. J'ai changé de coordonnées. Tu n'as qu'à l'enregistrer, à présent.
- Tu m'as fait une de ces peurs hier, tu sais.
- Alors je m'excuse. Et où sont donc tes parents ?
- Au travail, mais ils ne devraient pas tarder à rentrer à l'heure actuelle. Il est quatre heures.
- D'accord. Je vais les attendre.
- Qu'y a-t-il, Kerry ?
- Rien. J'ai seulement quelque chose à leur demander, tente-t-il de me rassurer.
- Je comprends.
Alors j'entends frapper à la barrière.
- Je vais ouvrir, dis-je à mon beau-frère.
Je n'attends pas sa réponse et je me précipite vers la cour pour ouvrir. Ce sont mes parents. Après les salutations, je leur annonce que Kerry est dans le salon.
- Comment vas-tu, mon grand ?
C'est mon père qui entame la conversation. Il a toujours considéré Kerry comme le fils qu'il n'a pas eu. Et je me rappelle tout à coup quand Cassy, à vingt ans, avait annoncé à mes parents qu'elle a rencontré un type. Ma mère en avait fait tout un drame ce jour là mais mon père avait demandé que le type se présente à la maison pour de plus amples connaissances. Et je n'avais jamais vu ma sœur plus heureuse que ce jour. J'étais contente de la voir ainsi tout en espérant que ce garçon n'allait pas me la prendre totalement. J'avais huit ans à l'époque. Une petite fille possessive quoi.
Comment oublier l'absence d'une personne avec qui l'on a vécu depuis à la naissance ? Le silence qui pesait dans le salon me tire de mes pensées. On aurait entendu une mouche voler... Mais qu'est-ce qu'il y a ? M'avait-on adressé la parole ? De nos jours, mon esprit divague de temps à autre et me concentrer exige un effort surhumain qui m'est impossible. Me demander de rester concentrée sur quelque chose c'est autant me demander d'arrêter de respirer.
- Oui, j'ai besoin de votre aide, murmure Kerry.
Que signifie cette phrase ? Et à l'instant, j'ai vu mes parents échanger un regard inquiet.
- Qu'y a-t-il ? M'enquiers-je.
- Keisha est vivante, Jenny. Et cette semaine, il va falloir que j'aille la chercher à la maternité. Elle a des troubles respiratoires et c'est la raison pour laquelle le docteur Charlemagne avait demandé de la garder quelques semaines pour suivre son état. Mais elle s'adapte peu à peu. Il y a maintenant des précautions à prendre. Ce matin, je suis allé la voir. Elle est très charmante ! Et j'ai dû payer cher pour faire prendre soin d'elle pendant tout ce temps mais j'ai eu une réduction.
- Keisha ! Puis-je simplement articuler.
Je ferme les yeux une bonne dizaine de secondes. Je crois être victime d'une hallucination. Mais non ! Ma sœur est morte lors d'un accouchement. Son premier. Le bébé ne s'engageait pas correctement dans son bassin afin que l'accouchement puisse se faire par voie basse. Alors elle avait subi une césarienne. Ce qui a été fatale pour elle...
Le docteur avait dit que le bébé n'a pas beaucoup de chances de survie à cause de sa santé précaire. Et depuis, personne n'en a reparlé. Peut-être par peur de s'attacher à elle et de la perdre par la suite ? C'est si douloureux. Mais aujourd'hui, ça me fait du bien de savoir que ma nièce est vivante. J'ai réellement une nièce. Je soupire avant de remarquer que mon beau-frère soutient le regard de mes parents.
- Qu'est-ce qu'il y a encore ? Demandé-je ?
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Et Si On Se Trompait...
AventureQuand celle que j'ai aimée de tout mon être quitte la maison de mes parents pour se marier, j'ai reçu une blessure en plein coeur mais je me suis dite que c'est une étape de la vie et que je dois m'y faire. Mais quand elle quitte la vie définitiveme...