Noir comme la nuit

364 66 93
                                    

Lorsque j'avais dix ans, la maison de mon voisin avait passé au feu. C'était une vieille maison dont les circuits électriques ne respectaient plus les normes de sécurité en vigueur. Un court-circuit aurait provoqué une étincelle et embrasé le bois sec du bâtiment.

L'incendie s'était déclaré au beau milieu de la nuit. Je m'étais réveillée lorsque les camions de pompier étaient arrivés dans la rue, sirènes hurlantes.

Tout avait brûlé. Les pompiers étaient intervenus trop tard et le feu n'était plus maîtrisable. Il n'était resté que des morceaux de charpentes noircis et un parterre de cendres. Heureusement, mon voisin était en vacances à ce moment-là, et il n'y avait eu que des pertes matérielles.

En me rendant au refuge cette nuit-là, je craignais d'assister à une scène similaire à celle qui avait marqué mon esprit d'enfant.

Un brasier qui prenait vie lentement, puis brutalement, comme une bête qu'on réveillait d'un long sommeil. Un brasier qui ravageait tout avec ses longs doigts de feu, qui crachait des étincelles contre le ciel noir. Qui toussait, qui fumait. Qui repartait enfin en ne laissant que de la cendre chaude dans son sillage.

Contrairement à la maison de mon voisin, cette nuit, mon refuge n'était pas vide. Il abritait cinq vies dont j'étais responsable.

S'il arrivait quelque chose à mes chimpanzés, je ne me le pardonnerais jamais.

Si j'arrivais au refuge et que je ne retrouvais que des cendres, que du bois noirci...

Je sentis ma gorge se serrer.

— Ne pleure pas, Charlie. Arrête de pleurer, bordel.

Je voyais une colonne de fumée charbonneuse s'élever dans le ciel même si je n'étais pas encore arrivée au refuge. Au loin, la lueur orangée du feu se mêlait à celles des gyrophares des véhicules d'urgence.

Je me garai à quelques mètres du refuge et me précipitai hors de la voiture. Dans mon empressement, je manquai trébucher sur un tuyau d'incendie au sol. On aurait dit un gros serpent jaune qui voulait s'enrouler autour de mes chevilles. Je me dépêchai de rejoindre le groupe de policiers qui discutaient entre eux un peu plus loin, à l'extérieur du périmètre de sécurité installé par les pompiers. De là, nous ne pouvions pas voir ce qui se déroulait de l'autre côté de la clôture, sur le terrain du refuge. Je voyais la fumée dans le ciel, j'entendais le crépitement du feu, mais je ne voyais pas quelle partie du bâtiment était touchée.

Les officiers cessèrent de discuter en me voyant approcher.

— Mes chimpanzés, soufflai-je d'une voix que je ne reconnus pas moi-même.

Elle était rauque, brisée, fatiguée. Comme moi.

L'un des agents, un quinquagénaire à la carrure d'un réfrigérateur, sortit du cercle pour me rejoindre.

— Vous êtes la propriétaire du refuge?

J'acquiesçai.

— Nous nous sommes parlé au téléphone. Je suis le lieutenant Dubreuil.

— Mes chimpanzés... répétai-je en sentant mon menton trembler.

— lls sont sains et saufs, vos petits, me rassura l'officier. C'est seulement la remise au fond du terrain qui brûle. Et heureusement, le vent souffle la fumée dans la bonne direction. Elle ne s'engouffrera pas dans les conduits d'aération du bâtiment principal.

Le soulagement fut tellement grand que mes jambes devinrent molles.

C'était seulement la remise. Des jouets, des outils, des sacs de terre.

Chimp RescueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant