Les sombres secrets

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— Charlie, on a réussi!

Ma meilleure amie venait de surgir dans mon bureau en courant, essoufflée, les joues rouges, ses cheveux blonds en pagaille autour de son visage. Ses yeux verts pétillaient et je pouvais presque voir les taches de rousseur danser sur son nez et ses pommettes.

Je délaissai l'article que j'étais en train de lire et pivotai sur ma chaise de bureau, sourcils haussés.

— Réussi quoi, Flo?

Cette dernière brandit fièrement son téléphone devant elle et régla le volume à puissance maximale. La voix dynamique d'un animateur de radio explosa dans la petite pièce ensoleillée.

« C'est ce matin qu'un géant canadien des cosmétiques, la compagnie Blossom, annonce qu'elle cesse dès maintenant de tester leurs produits sur des animaux. »

Je poussai un cri de joie et sautai sur mes pieds avant de me jeter dans les bras de Florence à la manière d'un joueur de soccer qui venait de marquer le but gagnant.

— ON A RÉUSSI! hurlai-je dans ses oreilles, lui causant certainement des dommages auditifs permanents.

Faire changer la méthodologie de cette entreprise avait été notre fer de lance des dernières semaines. La compagnie Blossom testait ses produits sur des rats qu'elle gardait entassés dans de minuscules cages. Les pauvres bêtes ne voyaient jamais la lumière du jour et se faisaient enduire de cosmétiques jusqu'à l'intoxication.

Mon amie éclata de rire et passa un bras autour de mes épaules pendant que l'animateur continuait de discourir.

« On attribue ce changement radical aux efforts assidus de la militante Charlie Saint-Loup, figure de proue locale dans la lutte contre la cruauté animale. Bien connue sur les réseaux sociaux pour ses discours dénonciateurs et son esprit rassembleur, voilà plusieurs semaines qu'elle appelle les gens au boycott et met de la pression sur cette entreprise bien connue. Rappelons que Charlie Saint-Loup est la fondatrice de Chimp Rescue, l'un des rares refuges pour chimpanzés au pays. »

Florence coupa le son de l'entrevue et glissa son téléphone dans la poche arrière de son jeans. Un silence serein remplaça les paroles du présentateur. Je me sentis respirer un peu plus librement. Nous avions gagné une bataille de plus.

Je levai les yeux vers mon amie, qui ne parvenait pas à se départir de son sourire extatique – un reflet du mien, à n'en pas douter. Elle était mon bras droit, mon associée, et également la trésorière de Chimp Rescue. Ce refuge en était un pour les chimpanzés qui avaient été utilisés par des laboratoires biomédicaux ou à des fins de divertissement. Le refuge les sauvait de l'euthanasie ou des conditions inacceptables dans lesquelles leurs propriétaires les maintenaient.

Chimp Rescue était ma plus grande fierté. Grâce à lui, cinq chimpanzés écoulaient présentement la fin de leurs jours dans un environnement décent, entourés d'une équipe qui les traitait aux petits oignons. Beaucoup d'entre eux étaient traumatisés, agressifs ou apathiques en arrivant ici. Heureusement, nous réussissions toujours à leur redonner un sentiment de sécurité avec du temps, de la patience et beaucoup d'amour. Rien ne me rendait plus heureuse que de savoir que j'avais changé la vie de ces animaux pour le mieux. J'avais l'espoir que d'ici quelques années, Chimp Rescue pourrait accueillir au moins le double de chimpanzés. Mais il y avant tant d'animaux à secourir et tant à accomplir que je n'aurais pas assez d'une vie pour apporter tous les changements que je voulais dans les mentalités.

— Nous célébrerons dans les prochains jours, m'assura Florence en se détachant de moi. Mais pour tout de suite, j'ai des jours de comptabilité à rattraper. À plus tard, Charlie!

Chimp RescueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant