Boire la tasse

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Lorsque j'étais petite, mon grand frère et moi nous étions mis en tête de créer un tourbillon dans la piscine de mes parents. En nageant continuellement dans le sens des aiguilles d'une montre, nous avions réussi à produire un courant de plus en plus fort, si fort que j'avais fini par perdre pied, me faire emporter par la vague et boire la tasse.

Créer quelque chose, puis en perdre le contrôle.

Ça avait un air de déjà-vu.

— Charlie. Charlie, murmura une voix basse.

Mes paupières papillonnèrent plusieurs fois avant de réaliser que j'étais étendue sur le béton. Le visage de Maxence se superposa aux nuages gris. Il avait posé un genou au sol et tenait ma joue en coupe dans sa paume, l'air inquiet.

Je repris mes esprits et une vague d'adrénaline me fouetta le sang.

Je devais calmer les manifestants fauteurs de trouble. Ils allaient briser la fenêtre, entrer dans l'institut et tout saccager.

Je me redressai vivement, ignorai la main tendue de Maxence et bondis sur mes pieds. Un voile noir recouvrit aussitôt ma vue et je titubai de quelques pas avant de rencontrer un torse chaud et un bras solide.

— Assez, Charlie. Venez avec moi. Vous êtes blessée, lâcha Maxence d'un ton sans appel.

Je capitulai.

Je m'accrochai à son bras comme une grand-mère instable à son déambulateur et le suivis sans opposer de résistance.

Avant d'entrer dans le bâtiment, je risquai un coup d'œil par-dessus mon épaule. Les policiers étaient intervenus et avaient neutralisés les casseurs. Les autres manifestants avaient abaissé leurs pancartes et une ambiance de plomb régnait devant l'Institut national de recherche médicale.

Si je ne mourrais pas d'une hémorragie au cerveau, je mourrais certainement de honte.

Je ne savais pas ce qui était le plus humiliant entre me faire secourir par Maxence Clermont, me faire agresser par l'un de mes manifestants ou avoir complètement échoué à diriger la manifestation dont j'étais l'instigatrice.

Cette journée était un flop monumental, et il était à peine huit heures du matin.

Maxence me fit asseoir sur une chaise à l'accueil et s'accroupit devant moi. Il sortit un mouchoir de sa poche et me le tendit.

— Pressez-le sur votre tête. Vous saignez.

Je pris mollement le mouchoir et grimaçai en l'appuyant contre ma blessure.

Je m'en voulais tellement. Florence avait raison. Robert avait raison. Cette manifestation était une idée de merde. Et par-dessus le marché, Maxence avait raison. J'avais jeté de l'huile sur le feu, alimenté la haine de certains partisans sans le vouloir.

Et voilà où cela m'avait mené.

Allez directement en prison. Ne passez pas par Go, ne réclamez pas deux cents dollars.

— Vous devez croire que je ne vaux pas mieux que ces hystériques, lâchai-je avec amertume.

Maxence ne répondit rien. Il me contempla longuement, sans que son visage ne laisse rien trahir de ses pensées. Au bout de plusieurs secondes de silence, il secoua doucement la tête.

— Je crois que vous êtes courageuse, me détrompa-t-il alors. Téméraire, certainement. Et têtue comme une mule, ajouta-t-il, une étincelle amusée dans le regard.

J'esquissai un sourire contrit.

— Maxence, soufflai-je alors en arrimant mon regard au sien. Je suis désolée. Sincèrement. Désolée que mes manifestants vous aient traité de tous les noms, qu'ils aient tenté de saccager votre lieu de travail...

Chimp RescueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant