Chapitre 1 : Les jumeaux

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« Arivédèrssi, prôféssôréssà ! s'exclama Paul.
- A-RRI-VE-DER-CI-PRO-FE-SSO-RE-SSA (1) !!! hurla Paule. »
Ce n'était en effet pas la première fois qu'elle s'énervait contre son jumeau pour de l'italien. D'ailleurs, c'était le cas pour à peu près toutes les matières, hormis le sport, dans lequel elle n'arrivait pas être meilleure que lui pour la bonne raison que ce cours ne s'apprenait pas dans les livres (cela amusait beaucoup son frère).
Paule était une jeune lycéenne de quinze ans. Première de la classe, elle se disputait ce titre chaque année avec sa meilleure amie Aurore. Elle était brune -cheveux ondulés- avec les yeux bleu-gris très clairs, et une petite tache de naissance en forme de croissant de lune ornait le dessus de son nombril. Elle avait une paire de lunettes argentée à liserés dorés.
Paul, son jumeau, était né le neuf septembre 1942. Il était très mauvais en cours, ce que la jeune adolescente espiègle ne manquait jamais de lui faire remarquer. À l'instar de sa sœur, il était brun très foncé à la chevelure également ondulée, avait les yeux bleu-gris, la même tache de naissance et de fines lunettes métalliques noires. Il était très maladroit et trouvait toujours le moyen de s'attirer des ennuis. Son meilleur ami se prénommait Christian.
Les jumeaux, Aurore et Christian étaient inscrits dans un lycée "d'avant-garde", c'est-à-dire que cette école innovait par rapport aux autres, en étant mixte, en proposant plusieurs langues à étudier (telles que l'italien, l'espagnol, l'allemand, l'anglais) qui n'étaient pas très répandues dans les autres lycées, et en enseignant en cours d'histoire, outre le programme habituel, les évènements les plus récents. Effectivement, le directeur et les enseignants estimaient qu'il était nécessaire pour les élèves d'avoir le plus de connaissances possibles, sans se soucier du fait qu'apprendre l'allemand, par exemple, pouvait les faire passer pour des "collabos", ou qu'enseigner la Seconde Guerre mondiale pouvait être mal vu. Ils voulaient simplement transmettre leur savoir.
Un peu plus tard, ils quittèrent le lycée et se mirent en route pour arriver le plus tôt possible chez eux, leur mère ayant sûrement fait un autre de ses succulents gâteaux.
« Hé ! Attendez-nous !! crièrent deux voix essoufflées dans le dos des jumeaux.
- Christian !! Aurore !! s'exclamèrent Paule et Paul en même temps. »
Aurore était svelte et élancée, elle avait de magnifiques cheveux blonds qui lui cascadaient joliment dans le dos et de beaux yeux saphir. Quant à Christian, il avait les cheveux noirs et de superbes yeux vert d'eau.
Les quatre amis rentrèrent chez eux en parlant du BEPC (2) "blanc" -une autre innovation de leur lycée, qui permettait aux élèves allant passer à la fin de l'année un examen d'effectuer l'épreuve dans les mêmes conditions que s'ils la passaient vraiment, ce qui les préparaient mieux et ne les laissaient pas démunis qui allait avoir lieu la semaine suivante.
Paul et Christian angoissaient à l'idée même d'un simple test, alors que Aurore et Paule discutaient tranquillement du dernier livre de mille pages et quelques qu'elles avaient lu.
« Tu as bien aimé "Le Comte de Monte-Cristo" ? demanda Paule.
- Oh, tu sais, ce n'est pas mon préféré... J'aime mieux "Les Misérables", de Victor Hugo, mais je dois avouer que "Le Comte de Monte-Cristo" n'est pas mal non plus... »
Au moment où Aurore commençait à demander à son amie ce qu'elle pensait des "Trois Mousquetaires", cette dernière entendit son frère hurler, désespéré :
« Paule !!! Tu peux me faire réviser le théorème de Pythagore, je n'y arrive pas-
- On n'y arrive pas !! précisa Christian.
- Pfffff... D'accord, les boulets... se moqua gentiment Paule :
Si-un-triangle-est-rectangle-alors-le-carré-de-la-longueur-de-l'hypoténuse-est-égal-à-la-somme-des-carrés-des-longueurs-des-côtés-de-l'angle-droit. C'est bon ?
- Mais comment faites-vous ? dirent d'une même voix les deux garçons, sidérés.
- Oh, ce n'est pas très difficile, vous savez... c'était Aurore qui avait répondu.
- Pfffff... »
Christian et son ami étaient écœurés de la facilité avec laquelle les deux filles apprenaient leurs cours (et accessoirement, considéraient le fait d'être premières de la classe ex æquo comme un jeu). Ils décidèrent donc de bouder les deux amies avec ostentation -même s'ils ignoraient la signification de ce mot étrange.
Ils arrivèrent enfin en vue de la maison des jumeaux. Sur le pas de la porte se trouvait la mère des deux adolescents, Isabelle.
Celle-ci était accueillante et aimante, protégeant ses deux enfants comme la prunelle de ses yeux. Elle était petite et blonde, et, comme son mari, ne portait pas de lunettes. Son époux, donc, se nommait Louis Garnier et avait également des cheveux d'un jaune d'or magnifique. Il possédait une large carrure, ce qui en impressionnait plus d'un, et avait un humour... particulier -aux dires des jumeaux malicieux- qu'il était le seul à apprécier. Malgré cela, il était le meilleur des pères. Les deux époux avaient les yeux : pour Isabelle, brun chocolat, et pour Louis, noir d'encre.
Aurore et Christian se préparaient à prendre congé de leurs amis lorsqu'Isabelle les interrompit :
« Tututut !! Vous restez ici, vous deux ! dit-elle en rattrapant les deux enfants par leur col alors qu'ils commençaient à partir. Je vais prévenir vos parents, vous n'allez quand même pas passer à côté de mon superbe marbré chocolat-vanille !!! »
Ils capitulèrent -car ils n'étaient pas assez fous pour refuser une invitation à goûter un gâteau d'Isabelle Garnier-, et restèrent jusqu'au moment où la mère de Christian, après un câlin à son fils -au grand désappointement de celui-ci- vint le récupérer ainsi qu'Aurore. Après leur départ, les Garnier se mirent à table.
Comme tous les soirs, Paul fit à ses parents le résumé de leur journée :
« ... Et en histoire, nous avons parlé de la Seconde Guerre Mondiale.
- D'ailleurs, ajouta sa sœur, le professeur nous a demandé de chercher qui a vécu la guerre dans notre famille. Pouvez-vous nous donner des noms ? »
Isabelle et Louis devinrent rouges et essayèrent de changer le sujet mais les jumeaux ne lâchaient pas le morceau.

« Qu'y a-t-il ? Vous ne vous sentez pas bien ? demanda quand même le jeune garçon.
Si, si, ça va, ne t'inquiète pas... dirent-ils d'une voix étranglée.
Bon, pour en revenir à notre devoir, il n'y a vraiment personne qui y ait participé d'une façon ou d'une autre ? insista l'adolescente.
Par exemple... Ton frère, papa, tu sais... Ferdinand ! Voilà, tonton Ferdinand ! C'est lui qui a été fait prisonnier par la milice, n'est-ce pas ? Parce qu'il n'a pas voulu faire le STO (3) ! Et c'est à cause de ça qu'il s'est engagé dans la Résistance ! A-t-il assisté à notre baptême ?
Oh oui !! s'enthousiasma Paul.
Un résistant à notre baptême, ça serait excellent !
Hem... Eh bien... Je crois... Il est venu à votre baptême en 1939... dit Louis.
Mais papa ! Nous n'étions pas nés ! le reprirent ses enfants.
Ah oui, c'est vrai ! Excusez-moi... répondit-il, confus.
Papa, est-ce que je lui ressemble ? questionna son fils d'un ton avide.
À l'oncle Ferdinand ? Paule et moi, nous ne vous ressemblons pas, alors on doit forcément ressembler à quelqu'un de la famille ! À moins que l'on ait été apportés chez vous par des cigognes, ou que vous m'ayez trouvé dans un chou et Paule dans une rose ! dit-il d'un air malicieux. »
Mais aujourd'hui, étrangement, ils n'étaient pas d'humeur à rire et Isabelle dit à ses enfants d'un ton sans réplique :
« Allez vous coucher immédiatement. Votre père et moi avons à parler de choses sérieuses. Vous comprendrez quand vous serez plus grands... »
Les jumeaux montèrent l'escalier d'un pas lourd tout en grommelant. Ils entendaient leurs parents parler à voix basse d'un ton agité dans la cuisine.
Paule entra dans sa chambre, mit sa chemise de nuit et s'endormit.

(1) Arrivederci professoressa : "au revoir madame" en italien

(2) Brevet d'Études du Premier Cycle du second degré, créé en 1947 (équivalent au brevet d'aujourd'hui, en troisième).

(3) Service de Travail Obligatoire, instauré par le régime de Vichy (le gouvernement du général Pétain collaborant avec l'Allemagne nazie) à la demande d'Hitler : cela consistait à envoyer des hommes français travailler en Allemagne, car les nazis manquaient de main d'œuvre.

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