Chapitre 3

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L'embarquement allait commencer et je me demandais si le départ de Luca aux premières heures de la journée n'était pas le fruit de mon imagination fatiguée. Malheureusement, la feuille de papier laissée sur la table de la cuisine avant sa fuite de voleur et maintenant en boule dans mon sac à main, me cramponnait à la réalité. J'avais ressenti une seconde de soulagement en passant mes nerfs dessus. En la malaxant et en la jetant dans mon sac avec mépris. Mais ce soulagement n'avait pas duré et la haine avait repris le dessus. « Je suis désolé, je ne peux pas. ». Sept mots, sept malheureux mots sur un...Mot, pour me dire qu'il s'en allait. J'aurais espéré de lui un peu plus de courage. Qu'il ait été pris de panique, de remords et de culpabilité envers sa famille, peu m'importait pour le moment. J'étais bien trop en colère, bien trop triste et déçue pour chercher à comprendre sa démarche, pour lui donner des circonstances atténuantes. Après tout, je n'avais pas cherché à ce qu'il m'aborde moi, chez cette marchande de crème glacée !Alors que j'attendais mon tour dans la file d'embarquement, mon téléphone sonna et m'attira les yeux noirs d'une vieille femme à l'allure bourgeoise, qui attendait son tour devant moi. Elle devait être apeurée à l'idée que je ne coupe pas mon téléphone portable au décollage et que j'occasionne un dysfonctionnement de notre taxi volant, si bien qu'il terminerait son ascension par un crash mortel pour l'ensemble des passagers. Un crash du genre destination finale ! Bon, j'y allais peut-être un peu fort...La vieille devait certainement ne pas comprendre, voire détester les nouvelles technologies, tout simplement...

— Ça va aller, Madame, je vais le couper ! Allô, qui est à l'appareil ?

— Bonjour Cassandra, Edouard Pennybags au bout du fil, pardonnez-moi, j'ai la mauvaise habitude de masquer mon numéro lors de mes appels, mais peut-être n'aviez vous de toute façon, pas encore ajouté mon nom à votre répertoire... Vous êtes sur le point de décoller, je présume ?

— Vous présumez bien. Nous sommes en train d'embarquer. Lui répondais-je avec autant de distance que je l'avais souhaité.

Ce type ne m'inspirait résolument pas confiance, notamment car il avait tenu à conserver le plus longtemps possible, le mystère autour de son invitation. Évoquant d'abord sa volonté de célébrer le premier jour de l'été avec des personnes emblématiques de la ville. Face à mon scepticisme, il avait ensuite mis en avant la volonté de rendre « L'honneur et la gloire qui étaient leurs, à quelques personnes spéciales, et dont je faisais partie ».

— Parfait. Mon chauffeur vous attendra devant votre terminal, vous ne pourrez pas le louper, il brandira un panneau afin que vous le reconnaissiez. Notez que votre nom n'y figurera pas, mais celui de ma fille, Pervenche, afin d'assurer votre tranquillité et votre discrétion, en évitant que l'on vous reconnaisse.

— Vous savez, je ne suis pas encore célèbre au point de me faire arrêter dans la rue pour un autographe ou un selfie ! lui rétorquais-je dubitative.

— Ça viendra ma chère, ça viendra ! Le vieil homme me répondit avec le sourire dans la voix et comme s'il était persuadé de ma consécration à venir dans le monde du cinéma. Il me semblait soudain, un peu plus sympathique.

— Votre fille ne porte pas votre nom ? Elle n'est donc plus un cœur à prendre ? demandais-je sans chercher à dissimuler ma curiosité.

— Mon Eleanor a pris le nom de sa mère lorsqu'elle a obtenu le barreau, afin de ne pas m'être assimilée, alors que j'étais toujours Maire de Monopolys. J'ai trouvé son initiative plutôt judicieuse.

— Effectivement, ça se tient. C'est à mon tour Mister Pennybags, je dois raccrocher.

— Je vous souhaite un agréable vol ma chère. Il me tarde de vous rencontrer enfin. Je sentis une certaine gêne lors de ses derniers mots. Était-il en train d'appréhender lui aussi mon retour en ville ?

Installée confortablement dans mon siège en business, je dévorais minute après minute, CA de Stephan King, dont je n'avais jamais été capable de regarder l'adaptation cinématographique jusqu'au bout, tant j'étais effrayée par ce clown dévoreur d'enfant. Luca s'était investi de cette mission lors de l'un de nos après-midis volés : « Je te promets que ça va aller ! C'est davantage du genre psychose, que terreur ! Avec moi tu vas non seulement le regarder jusqu'au bout, mais me demander ensuite de voir le dernier volet ! ». Pourtant même blottie dans ses bras forts, je tremblais comme une feuille et nous avions opté pour un bon vieux Scream, au bout de vingt minutes. La pilule avait du mal à passer...Son départ tellement soudain, ces souvenirs qui remontaient à la surface... Je n'avais pas pleuré, mais uniquement parce que je n'en avais pas eu le temps. Je redoutais de craquer une fois seule dans ma chambre chez Pennybags. Comme j'aurais aimé que la fille dénouée de toute émotion refasse surface instantanément. Un an auparavant, j'étais celle qui menait les hommes à la baguette et aujourd'hui, j'étais à leur merci ? À la sienne à lui ? Ça n'allait pas se passer comme ça...J'allais me relever en deux temps, trois mouvements ! L'hôtesse, une jolie Eurasienne d'une quarantaine d'années vint me tirer de mes pensées cauchemardesques en me proposant une coupe de Ruinart que j'acceptais volontiers, mais dont la luxueuse évocation avait le désavantage de me faire repenser à un être tout aussi étrange et fantasmagorique que « ça », Pennybags. L'énorme point d'interrogation sur les motivations réelles qui le poussaient à me faire traverser les États-Unis me montait à la tête. Qu'avait-il l'intention de me « rendre » ? Moi qui avais quitté Monopolys en prenant soin de ne rien emporter avec moi, sinon mes souvenirs douloureux, le fric que j'avais amassé et quelques vêtements. Qui allait partager la table avec nous ? Est-ce que j'allais au-devant d'un danger imminent ? Allait-on me reconnaitre comme la petite entraîneuse de jadis ? Autant de questions qui se chamboulaient dans ma tête et qui me permettaient, certes d'oublier Luca quelques instants, mais qui favorisaient également mon anxiété quant à ce retour à Monopolys, des années après lui avoir tourné le dos et sans jamais m'être retournée.

Constatant qu'il me restait encore deux heures d'avion, je décidais de dormir un peu, si toutefois ce passager devant moi voulait bien se taire un peu et cesser enfin d'inonder l'hôtesse de l'air, de questions sur tel et tel produit proposé à la vente dans l'avion. Il ne servait à rien de me ronger trop les sangs à propos d'Edouard Pennybags, avant la fin de la journée j'aurai toutes les réponses à mes questions.

Une Soirée Lourde de ConséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant