Chapitre 5

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 Sous un soleil de plomb, Martha Hopkins était en train de repeindre sa boîte aux lettres, une version miniature de la maison juste derrière elle, là où j'avais grandi. Mis à part un minois qui semblait un peu moins frais que la dernière fois que je l'avais vu, ma mère n'avait pas l'air d'avoir trop changé. Même chevelure blonde rassemblée négligemment à l'aide d'une pince comme celles que les coiffeuses utilisent pour départager votre masse capillaire, même jeans moulant qui flattait son fessier de joggeuse et même genre de top au décolleté un peu plongeant, laissant entrevoir une belle paire de seins qui commençaient cependant à subir la loi de la gravité.

Six ans...Six ans que je n'avais pas vu cette femme, ni même échangé avec elle par téléphone. Elle et mon père avaient bien essayé de me joindre au tout début, après mon départ précipité...Deux fois, mais je n'avais pas décroché ni même répondu à leur unique message vocal où mon paternel jouait les parents éplorés face au départ inexpliqué d'un enfant, me demandant : « Qu'est-ce qu'on t'a fait Cassie ? Rentre à la maison et on parlera de tout ça calmement... ». J'avais quitté la région peu de temps après ma fuite, pour la Californie. Je voulais tenter de vivre mon rêve de devenir actrice, mais surtout, je ne voulais pas qu'on me retrouve...Quel paradoxe, à l'heure des réseaux sociaux et autres articles de presse en ligne ! Heureusement pour moi, j'avais su me montrer discrète les deux premières années qui ont suivies mon départ. J'imagine qu'ensuite ils se sont découragés et ont compris qu'il n'y avait pas de retour en arrière possible.

Je suis resté cinq bonnes minutes à l'observée, à l'abri derrière les vitres teintées de la voiture. Je ne savais pas à quoi m'attendre en allant la trouver. S'agirait-il d'une confrontation ou rapidement, elle irait courir se réfugier à l'intérieur ? Allait-elle mourir de peur en me voyant surgir comme une revenante ? Et lui ? Allait-il sortir son fusil pour me faire déguerpir ? Ou m'attraperait-il par les cheveux pour me tirer à l'intérieur et ensuite me faire subir un interrogatoire ?

Je ne savais pas moi-même, si j'étais en colère ou simplement très triste de me trouver là. Georges, silencieux jusqu'alors dû comprendre qu'un pavé énorme m'était tombé dans l'estomac. Avec pudeur, il me dit simplement qu'il m'attendrait aussi longtemps que nécessaire et que je n'aurais qu'à l'appeler pour qu'il débarque à la seconde, si les choses venaient à se compliquer. Cet homme était-il devin ?

Ses mots m'apportèrent le soutien et le courage nécessaires. Sans un bruit, mais sous son regard bienveillant, j'ouvris la portière de la voiture et m'élançai à travers la chaussée pour gagner le trottoir d'en face, où ma mère jouait les Picasso.

Alors qu'elle me tournait le dos pour fignoler la façade de sa boîte aux lettres, elle se retourna brusquement en entendant des enfants qui roulaient à bicyclette et qui s'écriaient à pleins poumons que le marchand de glaces allait arriver. J'étais là, à un mètre d'elle. Probablement qu'elle crut à une hallucination dans un premier temps, en tout cas mon apparition la troubla suffisamment pour qu'elle en perde son pinceau, qui vînt s'écraser dans l'herbe au pied de la boîte aux lettres, dans un amas de peinture blanche qui disparaitrait probablement à la prochaine tonte. Elle murmura mon prénom puis prit le temps de m'observer quelques secondes qui me parurent une année, avant de fondre sur moi pour m'enlacer et pleurer à chaudes larmes dans mon cou. Je n'arrivais pas à bouger. Stoïque comme un piquet, j'étais incapable de la prendre dans mes bras, mais il m'était impossible également de le repousser.

Quelques minutes passèrent avant qu'elle ne cesse de sangloter sur mon épaule. Elle se dégagea pour m'observer à nouveau, essuya ses larmes d'un revers de main et apercevant la famille Torres au complet qui nous épiait depuis son porche de l'autre côté de la rue, m'entraîna à l'intérieur de la maison en les saluant toutefois d'un petit signe de main auquel la mère de famille qui n'avait pas changé elle non plus, répondit par un sourire gêné. L'un de ceux que l'on peut traduire par « Mince, j'ai été prise sur le fait, en flagrant délit d'espionnage ! ».

Une Soirée Lourde de ConséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant