Chapitre 6

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 Deux immenses grilles de fer forgé noir s'ouvrirent sitôt que Georges appuya sur la minuscule télécommande qu'il m'avait demandé de sortir de la boîte à gants, alors que nous approchions des lieux. S'imposant à nous comme le nez au milieu de la figure, le manoir qui n'avait rien perdu de sa superbe et qui me semblait encore plus grand que dans mes souvenirs de petite fille, dominait Peyton Hill depuis le sommet de la butte sur laquelle il avait été construit. Entouré par un gigantesque parc arboré, la maison était sans aucun doute la plus grande et la plus belle de ce quartier excentré de Monopolys, qui ne comptait que quatre ou cinq propriétés à bonne distance les unes deux autres et séparées par bois et clairières. Si j'avais passé de nombreux instants à contempler cette magnifique demeure dans mon enfance, j'avais cessé de roder autour une fois mon adolescence venue, sans en connaître la raison. J'avais simplement cessé de venir trouver refuge ici. Cessé d'observer les gens d'en haut, comme Eleanor Pervenche qu'il m'était arrivé de surprendre depuis l'extérieur de la propriété. Peut-être avais je voulu m'épargner l'affront d'un retour brutal à ma condition dès que je posais les yeux sur elle, sur sa maison et sur ce que j'imaginais de sa vie...

À faible allure, Georges empruntait une route goudronnée et contournait la demeure principale afin de me conduire à mon lieu de résidence pour les trois prochains jours : le cottage.

Avant de pénétrer la forêt qui séparait le cottage du reste du domaine, nous passâmes sur un pont encadré de jolies balustrades blanches, qui surplombait un cours d'eau invisible pour quiconque se trouvait hors des murs.

— Ils ont même leur propre rivière ! m'exclamais-je à Georges avec ironie.

— C'est un ruisseau ma chère... Je suis certain que vous savez les distinguer des rivières ! C'est Madame qui en avait formulé la demande.

— Vous voulez parler de l'épouse de Mister Pennybags ? Celle qui est décédée lorsqu'il était Maire ?

— Qui d'autre très chère ? Seule Madame avait assez de goût pour en avoir la bonne idée. Le chantier a duré des semaines ! Elle était si heureuse de le voir aboutir, elle était telle une enfant le matin de Noël...

Georges avait soudain l'air triste, au point qu'un silence gênant s'installa dans la voiture. Aussi, je préférais relancer la conversation avant que celui-ci ne persiste et que les anges ne se mettent à défiler.

— Quand le manoir a-t-il été construit ?

— Et bien c'est la grand-mère de Madame, Abigail Tudor, qui a hérité de ces terres au début du siècle dernier. Elle s'est retrouvée orpheline à l'âge de vingt-et-un ans. Ses parents lui ayant légué aussi plusieurs biens immobiliers, générant de juteux revenus, elle trouvait inutile de poursuivre l'exploitation forestière qui avait lieu ici et fît raser une vaste partie du bois, afin d'y faire édifier cette merveille que vous avez sous les yeux, en 1929. Elle rencontra son mari par la même occasion. Albert Pervenche, un architecte de renom fraichement débarqué de Boston, avec qui elle eût trois enfants, dont le père de Madame.

— Personne n'a réclamé la maison après le départ tragique de Madame Pennybags ?

— Et bien Madame était fille unique, comme le fût sa grand-mère et les choses avait été faites de sorte qu'aucun de ses oncles et tantes, ni mêmes cousins et cousines ne soient lésés. Abigail et Albert Pervenche ont confié leur patrimoine immobilier à leurs aînés, Sally et Thomas Pervenche. Quelques dizaines d'appartements répartis entre Monopolys et la Nouvelle-Orléans, également plusieurs locaux commerciaux et quelques lopins de terre. Le manoir lui, était destiné à Robert Pervenche, cadet de la fratrie et père de Madame. Aussi, Eleanor est pour l'heure, la seule héritière du domaine. Mais loin d'elle l'idée d'en déloger son père qui aujourd'hui encore demeure marié à sa défunte mère.

Une Soirée Lourde de ConséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant