Chapitre 14

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Marie claqua doucement la porte du coffre de sa vieille jeep et inspecta de chaque côté de la rue que personne ne l'ait observé qui préparait son départ. Rien à signaler. Pas un chat. Bon, d'ici cinq minutes elle tournerait le dos à Monopolys et tout s'était passé comme elle l'avait planifié, mais elle regrettait de ne pas être partie de nuit, ça lui aurait évité de se précipiter et d'avoir le sentiment de s'enfuir comme une voleuse. Non, Marie était une fugitive, pas une voleuse. Elle n'avait rien pris à personne. On l'avait payée pour ses services. Un départ nocturne lui aurait aussi évité de regarder sa maison. Sa jolie petite maison en bois. Ô ce n'était pas la plus belle ni la plus chère. Mais elle l'avait abritée toute sa vie et protégée de la dureté de la rue, comme le ventre d'une mère abrite et protège un enfant à naître. Elle avait bercé ses moments de joie et recueillit ses larmes lorsque les temps étaient difficiles. Elle avait été le témoin silencieux de toutes les premières fois de Marie. La vie, le sexe, le mariage, la mort... Marie y avait vécu les étapes les plus cruciales de son existence. Elle y avait aussi réalisé toutes les cérémonies, tous les sacrifices et tous les rituels que sa mère et sa grand-mère avaient réalisés ici avant elle. À l'approche du grand départ, son cœur se serrait un peu d'abandonner cette maison, sa maison et la région qui l'avait vue naître, puis grandir et devenir une puissante prêtresse vaudou. C'est ici qu'elle était tombée amoureuse par deux fois et qu'elle avait eu une fille. Jade était devenue une femme et s'était envolée pour New York sans donner signe de vie depuis onze ans, mais Marie n'avait jamais cessé de l'aimer. Jamais.

Il ne restait qu'à mettre Zombie dans la voiture et à y aller. Elle ferait un crochet par le vieux carré, pour admirer une dernière fois l'ancienne propriété de son aïeul, la grande Marie Laveau et l'imprimer dans sa mémoire pour toujours.

Marie prit soin de placer Zombie dans une caisse aménagée pour le transport. Elle prit le temps de s'assurer que les bouillottes étaient bien chaudes, à trente degrés et donna à son fidèle compagnon deux des souris qu'elle venait d'acheter. Il était encore tôt, mais le thermomètre affichait déjà vingt-trois degrés et les souris étaient pratiquement décongelées.

Un dernier tour d'horizon. Tout était à sa place, comme si Marie allait revenir. Comme si la vie habitait encore cette maison. Elle n'avait pas fait la vaisselle ni même nettoyé les miettes de pain sur la table de la cuisine. Elle n'avait pas fait son lit non plus. On penserait qu'elle s'était absentée pour faire une course et qu'elle aurait fait une mauvaise rencontre...Ou alors on penserait qu'elle était partie dans l'urgence, cherchant à fuir la ville au plus vite. Peu importe, on ne la retrouverait pas !

Alors qu'elle tournait le dos au salon et qu'elle se dirigeait vers la porte, son serpent sous le bras, Marie sentit un courant d'air frais derrière son dos. Une aura de glace qui la stoppa net dans son élan. Ça ne venait pas de dehors, les fenêtres étaient toutes fermées. Non, c'était là, juste derrière elle, à l'intérieur d'un espace clos et Marie savait pertinemment qui venait lui rendre visite.

— Vous êtes venue me souhaiter bonne route ?

— nÇa y'est, c'est l'heure de votre grand départ ?

Edouard Pennybags se tenait là, juste en face d'elle. L'air calme et apaisé. Au premier abord, il était identique à l'homme qu'il était la veille, à ceci près qu'il était un peu diaphane.

— Le vôtre n'était-il pas hier ? Vous avez pris du retard !

— Et bien ma chère, j'attends toujours que l'on vienne me chercher ! J'imagine que c'est comme cela que ça doit se passer, non ?

— En principe oui. Il se peut que ça prenne encore quelque temps, mais ça ne sera plus très long...Peut-être avez-vous encore des choses à voir...Ou des gens à voir.

— Je ne suis pas si pressé ! Je ne sais même pas où je vais me retrouver...Je veux dire en haut ou en bas !

— Vous vous êtes racheté...J'ai bon espoir que vous ayez gagné votre place au paradis...Après un court séjour en enfer, peut-être ! Pennybags s'amusa de cette dernière remarque et sourit à Marie.

— Et vous alors ? Où partez-vous ?

— Loin ! Au sud...Bien plus au sud !

— Vous faites planer le mystère ! Peut-être vous verrais-je d'où je serais, sirotant un scotch sur un nuage !

— Qui sait...Je peux vous poser une dernière question, Monsieur Pennybags ?

— Je vous en prie...

— Qui vous a fait boire le poison ? Votre compagne ou bien vous-même ?

Pennybags sourit à Marie et leva les mains en signe d'étonnement.

— Minerva n'est qu'une dégonflée ! La preuve, elle n'a même pas réussi à mourir !...Incroyable votre potion, je n'en ai pas senti le moindre goût !

— Ravie que ça vous ait plu ! Au revoir Monsieur Pennybags... Un ultime sourire de connivence et Marie tourna les talons. Lorsqu'elle prit la porte, elle jeta un dernier coup d'œil à Pennybags et constata qu'une jolie femme rousse tout aussi translucide qu'il l'était se tenait derrière lui.

Une Soirée Lourde de ConséquencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant