Chapitre 1

179 34 90
                                    

Enveloppée dans son manteau vert, les cheveux épars formant un nuage châtain autour de son visage, une jeune fille marche pensivement le long de la jetée. Le soleil illumine cette journée d'octobre et tout semble paisible. Pourtant son cœur, lui,bat à tout rompre.

En elle brûle la certitude que ce qu'elle s'apprête à faire va changer le cours de sa vie. Elle a l'impression de prendre enfin son destin en main, de saisir les rênes de son existence en continuant tête baissée à croire en son projet. Ce projet que ses professeurs ont jugé irréalisable et que sa mère a qualifié de déraisonné. Ce projet consistant à abandonner une lettre sur un banc avec l'adresse du cabinet de son père (hors de question de mettre celle de la maison, avait clamé Ambre, sa mère), à entretenir une relation épistolaire avec un ou une inconnue et à comprendre, à s'enrichir d'un nouveau point du vue, sur ces multitudes de choses façonnant la vie. Un point de vue différent du sien. Car oui, il y a vision et vision du monde, toutes différentes selon les individus, selon leur passé et les étapes qui ont jalonné leur vie . Comment une personne que le hasard a désignée comprend-elle la société, les mœurs et ce qui compose notre existence ? Serait-elle encline à s'épancher sur des sujets comme la mort qui peut parfois être un sujet tabou ? Partagerait-elle ses joies et ses peines ou préfèrerait-elle cloisonner son univers pour se protéger ? Et surtout, le fait de communiquer par lettres changerait-il la donne et l'attachement pouvant ou non se créer entre les correspondants ?

Le visage parsemé d'embruns, la jeune fille joue avec son collier et le mordille sans véritablement y prêter attention, ses pensées accaparées par de nombreuses préoccupations. En effet, si elle échoue, elle peut dire adieu à l'université de psychologie en Belgique, la seule qui pourrait bien lui plaire parmi la liste infinie rédigée par ses parents.

Elle voit déjà le pire advenir, l'horreur de son proche avenir. Une université remplie de futurs psychologues de renom où elle n'aurait pas sa place. Un lieu sinistre et effrayant que les autres verraient comme un havre de paix et une bénédiction. Elle s'imagine déjà, entourée de passionnés du comportement humain en train de se demander ce qu'elle fait là. Même si la psychologie l'intéresse, ce n'est pas sa passion. Ce n'est pas ce qui la fait vibrer.

Alors penser aux conversations futures tournées autour des problèmes d'inconnus, ça lui donne la migraine. Rien ne s'est déjà produit qu'elle est déjà angoissée par cette possible destinée.

Le bijou toujours coincé dans sa bouche, une sale habitude qui date de l'école primaire, elle réfléchit et tente de se calmer.

Ce n'est qu'une lettre, se dit-elle. Une petite chose de rien du tout. Juste une lettre déposée sur un de ces nombreux bancs qui attendra d'être cueillie par un inconnu. Juste une feuille à laquelle, elle l'espère, on répondra. Pourquoi donc se mettre dans des états pareils ? C'est vrai, ce n'est pas comme si elle s'apprêtait à sauter du haut d'un pont ou comme si elle quittait son Pays Basque natal. Non vraiment, elle n'a aucune raison de paniquer ni d'en faire tout un plat. Elle esquissa un sourire, pensant à son cher frère qui lui répète assez souvent qu'elle est une Drama Queen.

Tout en continuant sa marche, elle repasse le film des jours précédents. Elle revoit sa mère, hors d'elle, le poing heurtant furieusement la table de la salle à manger. Liam, son frère, une moue de dédain dessinée sur le visage à l'annonce de son idée et son père peu soucieux des disputes pouvant diviser sa femme et sa fille, continuant de manger sa purée de patates douces.

L'image paternelle lui apparaît alors. Distante et froide comme la glace mais, à l'inverse de celle-ci, dénuée d'éclat et de brillance. Pâle et plutôt fade, il faut bien l'avouer. Car cet homme vit pour son titre de docteur, ne fait jamais rien qui puisse sortir de son quotidien, à l'avance planifié. Alors, il ne se mêle pas des affaires familiales, il n'en a que faire des chamailleries incessantes entre son épouse et sa fille, trop occupé, dira-t-il, pour avoir le temps de s'en soucier véritablement.

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant