Chapitre 10

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Depuis quelque temps déjà, elle court avec sa mère. Au début, c'était un véritable supplice, un calvaire sans nom. Elle aurait encore préféré écouter Liam réciter ses livres de médecine plutôt que de se lever aux aurores et courir sans but. Pourtant, au fur et à mesure, la course et elle se sont apprivoisées. Maëlle a fait des efforts, à suer à grosses gouttes et à tant bien que mal suivi sa mère qui galopait devant elle comme une gazelle. Jamais elle ne l'avait vu tant dans son élément.

D'une certaine manière, la course les a réunies. Elles ont désormais des sujets de conversation autres que les cours et les notes, peuvent se féliciter mutuellement et s'énerver contre leurs courbatures. Elles ont même ri ensemble de l'imitation de Maëlle d'un couple de joggeurs un peu trop enthousiastes et portés sur les couleurs fluo. Elles ont enfin l'occasion de partager quelque chose, de se sentir liées.

Puis, Maëlle est tombée.

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C'était hier soir et elles avaient décidé d'aller se dégourdir les pattes, comme l'avait si bien dit Ambre à son mari qui râlait de les voir partir sans avoir préalablement cuisiné son repas du soir. Bonjour la misogynie, avait fortement pensé Maëlle. Mais au lieu de lui adresser de telles paroles, elle lui avait dit :

« T'inquiète, au pire tu pourras commander des pizzas. C'est bon et facile à faire ! »

Avec un large sourire angélique et un battement de paupières innocent, le commentaire était passé sans accroche. Elle avait eu de la chance.

Une fois sorties, elles s'élancèrent. Si au début, Maëlle se mouvait à la vitesse d'une tortue à trois pattes, elle arrivait dorénavant à suivre le rythme de sa mère sans peine. C'était sa grande fierté.

Elles ne pensaient plus à rien, leur esprit totalement absorbé par l'effort et la sensation de bonheur produite par les endorphines. Une foulée après l'autre. Un inspiration, une expiration. Un et deux. Maëlle et Ambre.

Maëlle se sentait bien. Vraiment bien. Elle se sentait à l'aise avec son corps, sa respiration était fluide et ses bras ne se baladaient pas dans tous les sens. Elle jeta un coup d'œil à sa mère, espérant secrètement avoir autant de classe qu'elle quand elle courait. Avec ses cheveux blonds attachés en une haute queue de cheval, ses vêtements de sport moulants et sa foulée régulière, Ambre avait l'air d'une marathonienne new-yorkaise.

Elle ne sentit pas tout de suite qu'elle tombait. Elle se retrouva au sol, sans en avoir véritablement conscience. Sa mère poursuivit sa route et mit quelques secondes avant de se rendre compte que la jeune fille ne la suivait plus. Elle s'arrêta brusquement et regarda Maëlle, affalée dans l'herbe, incapable de se relever :

« Mais qu'est-ce que tu fabriques ? Ce n'est pas l'heure de faire une pause, elle consulta sa montre, Ça ne fait qu'une dizaine de minutes qu'on court. Allez, relève-toi moussaillon et hauts les cœurs ! »

Son enthousiasme vacilla lorsqu'elle s'aperçut que sa fille était au bord des larmes. Cela faisait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vu pleurer qu'elle avait presque oublié qu'elle en était capable. Elle s'approcha lentement de Maëlle, comme on le ferait d'un animal blessé.

« Ça va, ma puce ? »

Et là, Maëlle éclata en sanglots, laissant à l'eau salée la possibilité de dévaler par vagues son visage crispé de douleur. Le fait que sa mère lui ai donné du « ma puce », chose qu'elle n'avait pas faite depuis des années mêlé au feu qui irradiait dans tout son pied, avait eu raison de ses barrages.

Le reste est plus flou. Maëlle se souvient être rentrée à la maison, le bras de sa mère la soutenant. Elle se rappelle le froid de la poche de glace et la voix, encore plus glaciale de son père qui répétait sans s'arrêter, tel un perroquet :

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant