Chapitre 21

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Elle l'a encore croisé. Il l'a encore ignorée. Elle l'a vexé. Il l'a poussée hors de ses retranchements. Ils se rejettent et s'attirent tels deux aimants. Trop proches et ils se collent, ne pouvant s'écarter, pas assez près, ils s'éloignent. Ils ne peuvent faire autrement. Alors la voilà, leur destinée. Se rencontrer un jour pour s'oublier. Enterrer ce simulacre d'amour.

Quand il a voulu lui parler, il s'est approché. Elle lui a souri. Il est reparti, faisant mine de ne pas la voir. Le jeu du chat et de la souris. Mais il a senti son cœur se briser. Des éclats de verre se sont fichés sous sa peau, mêlés à son sang. Teinté du rouge d'un amour étouffé dans l'œuf, il brille dans la pleine Lune de son esprit.

Elle fait comme si cela ne la blessait pas. Comme si rien n'était arrivé. Comme si elle ne l'avait jamais rencontré. Cela aurait été mieux d'ailleurs. Autant pour lui que pour elle. Des déceptions, et des larmes auraient ainsi été évitées. Pourtant, la joie, leurs rires et les souvenirs qui se sont formés n'auraient jamais existé. Est-ce que cela en vaut la peine ? Elle ne sait pas. Elle ne sait plus.

Il ne lui reste qu'un vide profond. Elle est insensible. Gelée de l'intérieur. Les mots d'Harold ont trouvé écho en elle et elle se retrouve maintenant à se demander le chemin à suivre. Il n'y en a-t-il pas un de prédéfini ? Un qui lui permettrait de se laisser porter, de ne plus devoir prendre des décisions aussi compliquées ?

Mais, se dit-elle, il est trop tard. A quoi bon lui faire du mal, à quoi bon se briser davantage ? Le sort est lancé, les dés jetés et il ne lui reste plus qu'à attendre la suite. A attendre qu'ils ne se parlent plus, que leurs souvenirs respectifs soient balancés aux oubliettes.

Pourtant, alors qu'elle écoute sa musique, ses doigts la démangent. Sans être véritablement consciente, elle se mett à écrire. Des mots, des phrases et des questions. Couleur chagrin, couleur espoir. Couleur, non pas de l'amour naissant mais de celui qui nous est devenu plus familier. Dans un état second, sans y prêter attention elle coucha sur le papier tout ce qu'elle ressentait. La vérité.

Toi,

On m'a dit que je me fermais. Me fermais à l'amour, telle une petite huître. C'est vrai que j'ai parfois le sentiment que mon cœur est un coffre-fort. Un coffre dont on doit trouver le code ou la clé pour y accéder. Toi, tu y es parvenu. Tu as été le seul à réussir. Tu as brisé sans peine mes défenses, tu as gravi les murailles de mon cœur. Toutes mes protections envolées quand tu m'as tenue tout contre toi. Je me sentais en sécurité. À ma place. Un endroit que je n'avais jamais visité.

Je n'ai plus envie de rire. Plus envie de faire semblant. Une digue a lâché en moi mais trop tard, je crois. J'aimerais tant te dire. Te dire combien tu comptes pour moi. Te demander si ce n'était qu'un jeu entre nous, qu'une page qui sera bien vite tournée et oubliée. Nos souvenirs respectifs mis au placard et une mélodie inachevée qui résonne encore dans le calme de la nuit, effleurant les étoiles. Berçant la Lune, l'enveloppant de son rythme doux et paisible.

Je me suis maudite, vingt fois, cent fois. Je me suis maudite de t'avoir laissé partir. Mais c'est mieux comme ça non ? Le temps se serait mis entre nous, la peur et les mensonges aussi. Je te connais certes, je connais la façade, comme les autres mais j'avais aussi l'impression de connaître l'envers du décor. Cette impression qui me chuchotait que tu étais la partie manquante de ma vie. Tu sais, ce fragment qui nous fait sourire pour un rien ; celui que l'on ne cherche pas forcément mais qui nous tombe dessus sans aucune raison apparente ?

Si ça se trouve, tu ne ressentais rien de tout cela ; si ça se trouve, je me faisais des idées ; encore une fois. On dit parfois qu'il ne faut pas vivre avec des regrets. Alors tant pis, je mourrais avec. Drôle de paradoxe et de retournement de situation. J'ai encore le temps. Normalement. Mais j'ai peur. Peur de tout recommencer avec toi. Le chemin est-il fini ou reste-t-il encore des forêts, des lacs incroyables à parcourir à tes côtés ? Si on se séparait ici, quelles galaxies pourrais-je explorer ? Serait-ce mieux ou serait-ce une grave erreur ?

Tu étais ma force, mon énergie. Le seul problème c'est que j'étais terrorisée. Terrorisée par moi ; par cet avenir incertain qui est le mien. Je ne veux pas te briser. Je ne veux pas me briser. Un jour, dans une bonne dizaine d'années, penseras-tu à moi ? Te souviendras-tu de mes folies passagères, de mes histoires loufoques ? Ou bien serais-je devenue un fantôme ?

Chaque matin, je me demande qui va m'oublier. C'est vrai, on n'est que passager sur Terre. Il y aura bien un moment où notre nom sombrera dans l'oubli. Un instant où je disparaîtrai des mémoires et toi aussi. Qui sera là pour se souvenir de nous ?

Tels les dessins que l'on fait dans le sable, emportés par la marée, plus éphémères que des papillons, nos souvenirs s'en vont. Plus le temps passe, plus l'eau monte, plus les arabesques de nos vies sont effacées. Au fur et à mesure, s'affaiblissant petit à petit. Sans un bruit. Avec la délicatesse d'une ballerine, elles quittent la scène et vont se ranger dans l'oubli. Le néant. Celui dont on ne revient pas. Je le trouve pire que la mort ce néant. Plus sinistre, plus... effrayant. Car là-bas, il n'y a rien. Rien du tout. Pas même le vide car celui-ci à un nom. Ni l'inconnu, ni l'obscurité ne sont aussi magnifiquement terrifiants.

Alors je t'écris cette lettre pour une raison que j'ignore. C'est la raison de mon cœur et elle est terriblement bavarde (mais que quand ça l'arrange). La preuve, je ne t'ai jamais dit la vérité mais je crois que tu l'as aperçue. Je ne pense pas que je vais envoyer cette missive. Je vais la garder au fond, dans ma boîte à lettres, près de celles de mon papy de cœur, Harold. Je n'ai jamais aimé cette expression mais pourtant, elle est bien réelle. Je l'ai choisi et lui aussi. Par un hasard fou, j'ai rencontré un ami et conseiller. Un membre de ma famille. Il est mon rayon de soleil, mon arc-en-ciel sous les trombes d'eau qu'est ma vie.

J'écris, j'écris ... pour rien, j'en suis consciente. Je me retrouve encore face à un dilemme : t'envoyer mes pensées ou me taire à jamais. (La référence aux paroles du prêtre dans un mariage, je suis fière de mon humour !) De la robe blanche de mon innocence, de la rose emplie d'épines, de celle que je suis j'hésite. Mais uniquement pour me laisser croire que j'ai le choix. En réalité, je ne l'ai pas et je crois bien ne jamais l'avoir eu. Car entre te protéger et me protéger par la même occasion ou nous brûler les ailes, je sais où va ma préférence.

En tout cas, sache que je t'aime. Oui, c'est vrai. Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerais. Comme un ami, un frère et peut-être même comme un amour de jeunesse.

M.

En enfermant cette lettre dans son coffre, Maëlle ferme également un chapitre qui n'aurait jamais dû commencer. Un chapitre dont les protagonistes si différents l'un de l'autre ne peuvent continuer ensemble. Comme dans tout bon roman, pense-t-elle, il faut des héros au cœur meurtri, ayant les yeux emplis de larmes et une situation tragique. A quoi bon continuer d'espérer. Il l'ignore, elle ne lui parle presque plus. Rejetés par la mer à des endroits différents, le dos tourné et la tête ailleurs, ils ne peuvent avancer qu'en se lâchant la main.

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant