Chapitre 4

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« Alors Harold est vraiment un vieux monsieur tout ce qui a de plus ordinaire ? »

Assis sur le canapé méridienne du salon, Oihan laisse à Eliott le temps d'analyser la situation. Ce dernier les a placés le plus loin possible de lui, près de la porte et éloignés du couloir. Pour protéger sa sœur sans doute. Mais qui voudrait kidnapper un gamin ? Sérieux, c'est vraiment trop agaçant ces petites bêtes. Et bruyant. Oihan aime la tranquillité d'esprit et le calme de sa musique. Pourquoi irait-il s'encombrer d'un diablotin ?

Mais pourtant, il ne fait aucune allusion quant à cette distance, conscient que, pour le lycéen, les recevoir est risqué. Autant pour lui que pour sa famille. Alors, il lui a parlé du gentil bonhomme à la boîte aux lettres rouge, de son emploi de postier et du malencontreux « accident » qui l'a mené jusqu'à lui. Johanna l'a relayé par la suite, exprimant tour à tour sa surprise, ses doutes puis son semblant de confiance. « Faut pas charrier », avait-elle ajouté en riant. Elle alla même jusqu'à lui parler de sa voiture, lui expliquant qu'elle n'aurait jamais laissé personne monter à l'intérieur si elle n'éprouvait à son égard de la sympathie ou tout du moins, ce qui pouvait ressembler à une confiance mesurée. D'abord méfiant, Eliott a, au fur et à mesure, baissé sa garde et a fini par les croire.

Il a senti l'affection qui lie Oihan à Harold, cet élan de compassion et de sympathie à son égard. Une affection qu'il nous arrive de ressentir envers une personne que l'on ne connaît pas forcément mais qui fait partie intégrante de notre quotidien.

Il a d'abord pensé que ce « postier » était en réalité le correspondant de Maëlle, tentant de le rassurer pour assurer sa prise sur la jeune fille. Cependant il a bien dû admettre que sa vie n'était pas un film d'action et qu'on ne trouvait de tels dégénérés que dans des mondes imaginaires... quoi que. Il a aussi compris qu'inventer un tel personnage, inventer un quotidien fait d'échanges amicaux était impossible. Son interlocuteur aurait dû donner des signes de faiblesse, aurait dû à un moment ou un autre, dire ou faire quelque chose qui l'aurait laissé entrevoir, certes pas grand-chose, mais tout de même un fragment de la vérité. Mais rien de cela n'arriva.

Oihan parlait de cet homme avec une sincérité troublante. Même lui fut surpris de s'entendre dire de pareilles choses. Lui, de nature si réservée, exposait ses sentiments en plein jour. D'une certaine façon, il se redécouvrait ; plus expressif, plus ouvert, plus amical. Loin de l'image renfrognée et froide qu'il tentait tant bien que mal d'ériger et qui le faisait passer pour un jeune homme timide, parfois méprisant.

Johanna l'écoutait parler. D'un type nerveux et renfermé, elle voyait se dessiner sous ses yeux le contour d'un homme qu'elle aurait eu plaisir à rencontrer. Peu de personnes sont capables de s'épancher sur ce qu'elles ressentent, d'exprimer leur attachement d'une façon ou d'une autre. Elles se renferment au moindre instant de tendresse de peur d'être blessées ou ignorées. Johanna connait cela. Elle n'a pas véritablement d'amis. Pas de ceux sur qui l'on peut compter; pas de ceux comme Eliott. Et pourtant, elle en rêve. Un ami, pas un mari ou un copain. Non, juste une personne avec qui partager ses joies, ses secrets, sans prises de tête aucunes.

D'une certaine manière, elle permit aussi au lycéen de croire Oihan. Elle n'était pas mal à l'aise auprès de lui, ne semblait pas retenue contre son gré. Et elle le croyait. Cela se voyait dans sa façon d'acquiescer d'un signe de tête certains faits, d'appuyer certains de ses propos par des sourires ou des mimiques propres à elle seule.

Pour finir de le convaincre, la jeune femme alla même jusqu'à chercher la veste de travail d'Oihan, restée jusqu'alors dans la voiture, et la présenta au jeune garçon. Il ne sait ce qui le toucha le plus ; sa détermination à lui prouver leur bonne foi, son air fier ou encore son désir de bien faire et de l'épauler. Il trouva également touchant la façon dont elle essayait, discrètement cela va s'en dire, de se rapprocher d'Oihan. Elle ne semblait pas consciemment chercher son approbation ni son affection mais il voyait sans peine qu'elle œuvrait à se rendre utile et agréable. Aurait-elle pu faire de même avec un être abject et mal intentionné? Avec un violeur ? Sans doute. Rien n'est moins sûr. Certains cachent bien leur jeu. Pourtant son instinct lui soufflait qu'ils étaient dignes de confiance, qu'ils étaient venus jusqu'ici dans le seul et unique but de l'aider.

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant