Chapitre 19

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 Les murs tremblent. Les vitres frissonnent. Le temps semble suspendu. Une avalanche, un cyclone, un torrent de rage se déferle sur la maison des Lordford. Cela fait bien longtemps que les disputes ont cessé, remplacées par le silence froid de ceux qui s'ignorent. Pourquoi donc se crier dessus alors que l'on peut faire des coups bas ou tout simplement faire comme si l'autre n'existe pas ? De toute façon, l'être humain ne vit que pour être reconnu et dans ce besoin constant que l'on nous apporte de l'importance, certains y voyaient une arme. Une faille que l'on exploite pour son propre compte. Une faille qui est si simple à utiliser.

Mais là, il n'en est plus question. L'air est chargé de haine, de reproches, de rancœur. Les non-dits résonnent dans la pièce, l'emplissent et alourdissent l'atmosphère. Il ne manque qu'une étincelle pour démarrer l'incendie. Qu'un petit rien, une broutille. Une télécommande par exemple...

« Vas-y, choisis encore le programme ! C'est pas comme si tu choisissais tout ! Comme si toute notre famille tournait autour de toi !

- Liam arrête de me crier dessus ! Tu sais bien que ce n'est pas de ma faute, murmure-t-elle, et d'ailleurs il me semble que c'est toi qui as décidé du programme hier soir ! dit-elle avec un soudain regain d'énergie.

- Mais oui c'est ça ! C'est ta pseudo maladie qui te joue des tours ? Parce que si être encore plus moche qu'avant et être fatiguée c'est ce que tu appelles être malade, je pense que tu ferais mieux de changer de médecin !

- Ah oui, tu crois ça ? En tout cas, ce qui est sûr c'est que jamais tu m'entends, jamais tu ne pourras être un réel docteur si tu refuses d'accorder de l'importance à ta sœur ! Tu sais, un professionnel de la santé est supposé avoir des vertus comme la compassion et l'altruisme. Des mots dont apparemment tu ne connais pas le sens. Au lieu de câliner ta Clara, achète toi un dico !

- Altruiste ? C'est inutile ! Mieux vaut être compétent que de s'embarrasser à feindre la pitié envers les autres ! En plus, ma chère « sœur », fit-il en mimant des guillemets, n'est pas véritablement ma « sœur », encore des guillemets de doigts que Maëlle stoppa en lui jetant un coussin au visage.

- Comment oses-tu dire ça Liam ?

- Ça me parait pourtant logique. Le refus de père à te parler, cette chevelure que personne d'autre dans la famille ne possède et l'absence totale de ressemblance avec celui que tu appelles « papa ». Tout est limpide. Dis-toi que nous sommes dans une équation. Nous sommes les chiffres et toi, tu es le x. L'inconnue. Celle qu'il faut isoler pour trouver le résultat.

- Je t'ai toujours trouvé ignoble et sans cœur mais jamais je n'aurais pu penser que toi, tu me dirais ça ! Que tu refuses d'accepter ce qui m'arrive certes, mais que tu me renies ? Que tu balayes d'un revers de main l'étendue de mon existence ? C'est petit. Vraiment petit. Tu sais quoi, je te déteste. Je te hais. Ne me parle plus jamais ! Je refuse de voir à nouveau ton visage qui, même si tu dis le contraire, ressemble au mien. Car oui, je suis ta sœur et peut-être que je suis laide mais ce qui me rassure c'est que maman a toujours dit que nous nous ressemblions. Alors si mon apparence te déplaît, il en va de même pour la tienne. »

Et elle part sur ces mots, la peine lui comprimant la poitrine, l'empêchant de respirer. Elle ne peut chasser de son esprit les souvenirs qu'ils partagent. Les bonhommes de neige qu'ils faisaient lorsqu'ils partaient au ski. Les longues balades dans la forêt avec Mamie Maria, les sablés et les crêpes qu'ils faisaient sauter dans la petite poêle beurrée. La saveur du bonheur. Les réminiscences d'un monde révolu où tout était plus magique. Où frère et sœur s'entendaient et où la jalousie n'avait pas encore envahie leur cœur.

Les commentaires désobligeants de son frère l'ont affectée plus qu'elle ne voudrait le laisser paraître.

5 avril 2023

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant