15 avril 2023
6 rue Garat, 64310, Ascain
Ma petite Maëlle,
Je venais de t'envoyer ma lettre quand soudain, l'idée de prendre la plume m'a traversé. Une envie soudaine qui s'est imposée dans mon esprit, retentissant avec force.
Tu as parlé de vrai. De mensonge et de vérité. Je sais bien que tu me mens, que tu adoucis la situation. Je ne suis pas né de la dernière pluie tu sais. Cependant, j'accepte que tu gardes cette partie-là de ta vie secrète si tu le désires. Même dans une famille, on ne se dit pas tout. On garde parfois au plus profond de notre cœur des espoirs déçus, des rêves inavoués ou encore des moqueries dont nous sommes les victimes.
Pourtant, je me suis rendu compte de quelque chose de frappant. En plein cœur foudroyé par ce constat, je me suis laissé aller à réfléchir.
On condamne le mensonge. On l'abhorre, le dénigre, l'accusant de tous nos maux. Il est le poison de notre existence, celui qui est à l'origine de nombreux problèmes. Mais lui seul fait tourner le monde. Sans lui, personne ne sortirait, personne n'essaierait d'aller mieux ou de sourire. Personne ne voudrait sauver la face et se faire passer pour plus heureux qu'il ne l'est. L'univers serait triste et morne.
Mais j'ai remarqué que lorsque l'on ment aux autres, on se ment à nous-même. On déforme notre vie, nos souvenirs et la dernière version racontée est celle que l'on retient. Notre histoire, notre vie n'est ainsi plus véritablement la même ; ou tout du moins n'est pas telle que nous l'avons vécue.
Notre société n'est qu'une vérité édulcorée enveloppée dans un papier à la couleur arc-en-ciel du mensonge. Moitié beau, moitié laid, il est le reflet de nos larmes transformées en sourires. Il est certes visible mais si beau que cette douce illusion nous parait incroyable. Face à un arc-en-ciel, qui préfèrerait regarder les nuages pluvieux, noirs et tristes ? La réponse est simple : personne. Nous sommes tous attirés par la douceur, la beauté apparente et bien qu'il s'agisse d'un effet d'optique, d'un élément créé uniquement par notre vue nous la choisissons face à la tristesse de ce monde.
Rappelle-toi, quand on est enfant, on est sans gêne. On naît comme cela, en disant ce qui, pour nous, paraît la plus pure des vérités. On dit tout ce qui nous passe par la tête, des pensées loufoques, des émotions intimes qu'on n'oserait plus dévoiler aujourd'hui . Mais petit à petit, un filtre se dépose sur notre bouche et sur notre cœur. Il nous fait dire des choses qu'on ne pense pas, fait taire des envies, des sentiments qu'on juge déraisonnés. On devient mensonge, sans s'en rendre compte. Les parents saluent cette prouesse; celle de garder la sombre vérité pour soi. Pourtant, on nous interdit de mentir. Quelle frontière y a-t-il alors entre les deux ? Doit-on se taire pour préserver les autres ou leur dire tout au risque de les blesser ? La réponse diffère et différa toujours. Elle est propre à chaque individu et à chaque caractère. Certains veulent tout savoir, tout comprendre et ont peur des mensonges. Au contraire, il y a ceux qui choisissent de voir la vie en rose, de ne pas sortir de leur petite bulle réconfortante. Il faut simplement connaître son interlocuteur pour savoir quoi faire.
Il n'existe aucune logique avec la vérité et le mensonge. Il ne s'agit pas de sciences ou de mathématiques où toutes les formules et propriétés sont apprises par cœur. Je dirais plutôt que c'est une question de perception et de sentiments. On peut très bien nous dire quoi dire, on ne le pensera pas forcément et notre parole sera alors qu'un vulgaire mensonge. Nous sommes tous un leurre. On se dissimule la vérité à nous-même, on se cache des choses. Entre le cœur et la raison, il existe une sorte de douane qui vérifie les passeports et informations. Si quelque chose cloche, on le met en cellule; on tente de l'oublier. Alors, on devient un menteur.
J'ai menti de nombreuses fois dans le but de protéger les miens. Et je crois que finalement j'ai eu tort. Mentir pour préserver les autres est un acte honorable mais il faut aussi savoir quand déléguer; quand demander de l'aide.
J'ai menti à mon fils sur de nombreuses choses, qu'il soit enfant ou encore, un adulte. Je lui ai fait croire au père Noël, je lui ai fait croire que le monde était un paradis, un véritable havre de paix. Je ne l'ai pas assez préparé à la Vie; la vraie. Il a surestimé le pouvoir de bonheur, il pensait que les méchants n'existaient que dans les histoires que l'on raconte le soir pour s'endormir. Je me souviens encore de ce jour. Ce jour où je me suis rendu compte qu'il était trop différent pour les autres. Je me suis pris une grosse claque mentale. Je n'avais jamais pensé que rêver, imaginer, espérer, des outils dont Héloïse et moi l'avions incité à développer, le blesseraient autant.
Mon fils était un rayon de soleil. Une boule d'énergie emplie de sourires, de joies et d'amour. Mais, un jour ses "amis" lui ont reproché cette innocence qu'ils qualifiaient d'"enfantine " ou encore "naïve". Ils se sont moqués de lui, de ses rêves, de sa capacité à garder le sourire, même quand tout allait mal. Ils lui ont reproché d'être resté un gamin. Ils trouvaient qu'il était étrange. A treize ans, mon fils n'a pas compris le réel sens de cette phrase mais un changement s'est opéré. Il a commencé à leur ressembler. Moins par conviction que par désir de se fondre dans la masse. Il est devenu moins solaire, plus taciturne. Il s'enfermait dans sa chambre, ne nous parlait que par monosyllabes. Il était devenu un autre, un étranger dans nos vies. J'ai tout essayé, j'ai eu beau lui parler, rien ne changeait. Il avait décidé d'enterrer son âme d'enfant et il me l'a bien fait comprendre. Il a fait de la prudence son maître mot, renforçant cette partie de lui, parfois à son propre détriment. L'anxiété prenait le pas sur le bonheur, sur la surprise ou les aventures. Certes, il était ainsi petit ; toujours à raisonner sa petite sœur mais à partir de ce moment-là, il ne supportait plus ses erreurs, ses folies qu'il jugeait, à son tour, « enfantines ». Lui aussi avait ajouté ce mot dans son vocabulaire. Quel mal y-a-t-il à rester un enfant ? Un bambin qui s'émerveille pour un papillon, pour un oiseau ou encore pour un nouveau dentifrice ?
Parfois, je me dis que j'aurais pu, que j'aurais dû insister. En l'aiguillant, j'aurais eu la possibilité de lui faire comprendre que ce n'était pas un défaut d'avoir gardé son âme de petit garçon. Mais j'ai voulu respecter son choix et mal m'en a pris. J'ai perdu une partie de mon fils et une partie de mon cœur. C'est douloureux, quand on est parent de voir ses enfants, la prunelle de nos yeux, vouloir se détacher de nous. S'en aller, retirer sans délicatesse le pansement qu'ils ont posé sur nos cœurs. Ils sont le centre de notre monde et quand ils s'en vont, tout paraît bancal et vide de sens. Quand mon fils est devenu adolescent, je me suis brouillé avec lui de nombreuses fois. Pourtant, j'essayais d'être compréhensif, d'être présent quand il en ressentait le besoin. Mais je crois bien avoir échoué. Il est facile de dire, avec du recul, que j'aurais pu mieux faire. Cependant sur le moment, quand rien ne va, on prend la décision qui s'impose. Celle qui nous semble la plus adaptée au problème. On nous demande de tout régler, de tout arranger instantanément. Mais la vérité est que nous ne prenons pas toujours conscience des conséquences. Tout ce qui nous importe est d'améliorer la situation, même pour un bref délai.
J'ai peur parfois. Peur de l'avoir déçu, de ne pas avoir été un bon père. Je me demande souvent s'il n'aurait pas préféré vivre dans une autre famille. Dans une famille plus classique, comme celles de ses copains. Il faut bien dire que nous n'étions pas un modèle des plus communs. Nous avons beaucoup voyagé, nous lui avons appris tôt de nombreuses langues afin qu'il puisse comprendre et parler avec les différentes personnes que l'on rencontrait. Nous avons voulu lui apprendre l'ouverture d'esprit, la compréhension de l'autre et la passion de la culture et du savoir. Pour Héloïse et moi, c'était un facteur non négligeable de son éducation.
Maëlle, si je te raconte tout cela c'est pour te montrer le monde tel qu'il est : imparfait. Je suis loin d'être un parent irréprochable, d'être un modèle. Mais j'ai fait de mon mieux et, à la fin, c'est tout ce qui compte.
Je sais que tu as ton jardin secret, que tu as des émotions, des histoires dont tu ne me parleras jamais et cela est ton droit. Mais si jamais tu ressens le besoin de te délivrer, n'hésite pas. La famille est là pour ça. Et... je suis de ta famille n'est-ce pas ?
En parlant de famille, la mienne va bientôt s'agrandir.
Ton Papy Harold
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Les Lettres De Maëlle
Teen FictionElle. Pas tout à fait une enfant, pas encore une adulte. Lui. Un vieil homme qui a vu la vie, qui en connait tous les rouages. Deux inconnus. Deux personnes que rien ne prédestinait à se rencontrer. Mais pourtant, le hasard les a réunis. Un coup...