Chapitre 12

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Alizée sourit et tend sa main pour attraper celle de son père. Ça lui a fait un choc. De voir à quel point il a vieilli ces dernières années. Il a beau être aussi dynamique, aussi prompt à réagir, certaines choses ont changé. Il se tient plus voûté, il a maigri. Elle a beau plaisanter à ce propos, elle se rend compte que son visage s'est distendu, que ses rides se sont creusées. Et la petite fille en elle est terrifiée. Elle l'aime tant. Il est son pilier, son roc. Que se passera-t-il s'il se fissure, ou pire, s'il se brise ?

Elle chasse de sa tête ses idées noires. Elle est ici pour peu de temps, elle veut profiter de son père. Et de son frère aussi. Il faut absolument qu'elle offre à Jules son cadeau ! Ragaillardie à la pensée de ce qui l'attend, elle se dirige vers la vieille Clio de son père et s'installe au volant avec assurance.

« J'oublie parfois que tu n'es plus une enfant. Que tu peux me conduire n'importe où. Que tu n'as plus besoin de moi à chaque instant. »

Elle lui répond avec tendresse et entrain, mélange détonnant qui laisse dans l'air des volutes argentées

« Moi aussi, j'ai souvent du mal à m'en souvenir. Mais profite, tu as un chauffeur confirmé à ton service pour cette semaine.

Elle fait mine de placer une casquette sur sa tête avant de reprendre, d'un ton bourru :

« Où voulez-vous que je vous dépose, monsieur ? »

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Le vent leur fouette le visage. Père et fille sont perdus dans le paysage qui se dresse devant eux. La montagne basque s'étend sous leurs yeux. Mille et une nuances de vert côtoient le bleu presque azuré de la mer. Du haut de leur colline, les arbres se fondent dans l'océan formant un amalgame d'une rare beauté. Se mêlent parfum iodé et fleuri, fragrance arborée et saline.

Le relief se dessine doucement, entre monts escarpés et pentes plus douces. Ils distinguent même, malgré la distance, les moutons qui gambadent et les pottoks qui, libres, courent sans se soucier de rien. Il est devenu rare d'en voir et ils ont tous deux conscience de leur chance. Leur chance ne s'arrête pas là, ils le savent. Combien paieraient pour passer un moment serein, un moment de paix entre père et fille ? Les liens, parfois, s'étiolent. Ne subsistent que des réminiscences fugaces. Pas pour eux. Chaque moment passé est aussi intense, aussi puissant qu'une tornade. Ils se souviennent de l'important, de petits détails qui rendent ces instants magiques.

Perchés sur leur piédestal, Alizée se perd dans la contemplation du monde. De son père au milieu de tout ça. Ces derniers mois ont été d'un tel dépaysement. Plus d'ocre que de vert, plus de sourires, plus d'envie de se lever le matin. Là-bas, elle se sentait utile. Pourtant, une fois revenue elle s'est demandée si elle ne l'aurait pas plus été ici. A aider son père, à s'occuper de son neveu. Elle était déjà absente à la mort de sa mère, elle ne veut pas réitérer l'expérience. Elle ne veut pas que le goût des remords vienne tout gâcher.

Alors, elle prend la décision de vivre pour l'instant présent. De savourer chaque parcelle de son bonheur mais aussi de ses incertitudes. De s'emplir de la présence de son père, de ses rides et de tout ce qui lui est apparu nouveau et étrange lorsqu'elle l'a revu. Elle souhaite maintenir de la distance entre cette première image et son paternel. Elle lui prend la main et l'attire pour un câlin, comme lorsqu'elle était petite. Elle cale sa tête blonde dans son cou et ouvre bien grand les yeux.

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Quelques heures, des rires et des chansons massacrées plus tard, Harold se remémore ce que lui a dit Maëlle, à la souffrance qui l'emplit chaque fois qu'elle parle de sa famille. Cette enfant a bien du courage de vouloir s'accrocher aux brisures de ses rêves mais, n'est-elle pas en train de se faire saigner inutilement ? Le verre qui lui entaille la main n'est-il pas le constat douloureux qu'elle ne peut impressionner ses parents, qu'elle s'échine à leur prouver qu'ils ont tort, même à son propre détriment ?

Les Lettres De MaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant