Là où ils vont, ils vont ensemble

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(2009)

Ils ne réussiraient pas. Hotch le savait ; le passé se superposait au présent dans un terrible moment de réalisation, rendant le danger plus concret. L'arme tomberait une fois encore et ils mourraient, paralysés et sans défense devant une ligne d'hommes en marron sans compassion ni scrupule. Leur crâne serait brisé, et leur corps fragile abandonné dans la forêt aux cotés de toutes les âmes perdues à cet été monstrueux. Il avait lâché prise, par deux fois. Il avait lâché la main de Sean, il y a vingt-et-un ans. Et Sean était mort.

Celle de Jack, aujourd'hui.

Jack allait mourir.

Hotch se tourna, et ressentit chaque flexion de ses muscles et chaque tressaillement de son cœur haletant. Un véritable moment d'introspection ; il était tout à fait conscient des systèmes parcourant son corps pourtant à deux doigts de cesser de fonctionner. Henry bougeait contre lui, et émettait des sons de terreur noyés par ceux de Hotch. La pluie continuait de tomber. De l'eau dans ses yeux, sa bouche, son nez. De l'eau autour de ses genoux enfoncés dans la terre imbibée, et ruisselant sur son visage pour s'écraser sur ses doigts écartés dans cette même terre suintante. Elle tombait tellement qu'il ne pouvait voir, entendre ou réfléchir. Quand était-il tombé ?

Il l'ignorait.

Où était Jack ?

Il l'ignorait aussi.

Se relever ne lui apporta rien de plus qu'être à genoux, à part ce sentiment étourdissant qu'au moins, il affronterait la mort debout plutôt qu'en génuflexion. Il faisait si froid que la chaleur pulsante de son épaule blessée le submergeait, et des douleurs fantômes sur son visage, son crâne et sa main lui rappelaient que, adolescent, il avait été témoin à cet endroit précis de la mort de son frère. Son nez se mit à saigner, et la pluie lava rapidement la preuve du cartilage brisé.

Il finit de se tourner. Ce mouvement avait duré une éternité. La pluie cachait tout, à l'exception du son lointain des coups de feu : un, deux, trois. Il ignorait d'où ils provenaient exactement, mais son cerveau paniqué supposa en invoquant l'image très détaillée de Reid, à genoux face à un canon de fusil alors qu'ils l'abattaient comme un chien enragé. Un, deux, trois, et son fantastique cerveau réduit en silence à jamais. Hotch se plia en deux sous le poids de cette image. Soudain rapproché ainsi du sol, Henry babilla avec une joie nerveuse en pensant à un jeu.

Un éclair fendit le ciel et le monde se figea dans cet instantané saisissant, rendu net par l'odeur âpre d'ozone. Hotch vit tout. Il vit la bulle dans laquelle ils se trouvaient ; un bocal retourné autour de leur vie et les emprisonnant là jusqu'à la fin de la confrontation. Il vit la toile de leur vie s'étendre en les piégeant, leur mort tapie en son cœur entremêlé, avec ses crocs et ses yeux vigilants. Il vit la tempête, le lac et les tunnels ; il sentit le poids du monde s'incliner sur ses larges épaules et tous les maintenir en son centre. Il vit Jack, appuyé contre un tronc d'arbre tordu, noir et malade. Il vit les yeux écarquillés de son fils et, en eux, son propre reflet ; il vit le crâne de Sean s'enfoncer ; il vit Emily ramper dans les tunnels ; il vit la ceinture de son père.

Jack regardait un endroit derrière lui. Juste derrière lui. Hotch resta sans bouger en cet instant fracturé et hanté, et il sut que s'il vérifiait, il verrait un clown cabriolant, un ours enragé, ou Sean mort. Des peurs d'adultes avec des visages humains et, s'il faisait volte-face, elles l'attendraient.

Cela lui prit bien trop de temps pour réaliser qu'on tirait sur lui. Il fallut que le tonnerre gronde et fasse frémir le monde autour d'eux —si fort et provoquant un tel écho qu'on aurait dit que la tempête éclatait juste au-dessus de leur tête— pour qu'il se rende compte que les craquements et sifflements en toile de fond n'étaient pas causés par une mauvaise audition, mais par la menace planant sur leur vie. Il se retourna d'un mouvement brusque et distingua que, dans le chaos, les hommes l'avaient malencontreusement contourné avant de comprendre leur erreur. Ils faisaient demi-tour devant lui, et il s'avérait exposé sur la crête de la clairière où il était. Quelque chose passa sous ses yeux, et il trébucha de coté avec l'impression qu'on lui avait frappé l'oreille. Un instant plus tard, il sentit une autre balle pénétrer son épaule, accompagnée par la terrifiante réalisation qu'ils se rapprochaient. Henry bougea dans ses bras et émit un bruit à tordre l'estomac sous la cacophonie, avant de s'immobiliser.

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