Rester encore un peu [Eruri]

20/ Deuil compliqué

Je suis devant la porte de la salle mortuaire, avec Kenny à mes côtés. Il a une main sur mon épaule pour me donner de la force, mais je n'en ai pas du tout. Je n'arrive déjà pas à assimiler la nouvelle... Au moment où on est parti il allait si bien. Je n'ai même pas été présent, je ne sais pas si il a souffert ou non, quelles ont été ses dernières pensées... Est-ce qu'il m'en a voulu de ne pas avoir été là ? A-t-il regretté de m'avoir laissé partir au centre commercial ? Est-ce qu'il est mort en me détestant ? J'ai tellement de question en-tête, je suis encore perdu... Mais Kenny me ramène à la raison.

- Erwin ? Il faut y aller. Pousse la poignée et entre... Il le faut...

- Vous avez raison...

Je m'exécute lentement, sans grande envie, et nous entrons avec appréhension. Le corps de Livaï est allongé sur une table, recouvert d'un draps que le médecin baisse pour qu'on puisse voir son visage. Le revoir en sachant qu'il ne respire plus me donne la tête qui tourne, mon ventre se tord dans tout les sens, j'ai la gorge bloquée. J'ai envie de pleurer mais je n'y arrive pas, ça ne sort pas. Comme si mon corps recevait beaucoup trop d'émotions d'un seul coup et qu'il ne savait pas par quoi commencer. Je fixe mon mari, une main tremblante sur sa joue. Si seulement je pouvais me réveiller, là, maintenant, et me rendre compte tout ça n'est qu'un stupide cauchemar... Que Livaï est endormi à mes côtés...

Kenny fait le tour et se place de l'autre côté de Livaï, face à moi. Il le regarde tristement, je vois qu'il souffre. Ses yeux l'expriment parfaitement.

- Fiston... Je te demande pardon... Je suis vraiment désolé tu sais ? J'aurais aimé être plus présent dans ta vie, mais maintenant c'est trop tard. Je n'ai même pas été présent à ton mariage... Je regretterai toute ma vie, sache le.

Il chuchote ces quelques paroles, une main posée sur la tête de Livaï. Je suis surpris de le voir se pencher pour l'embrasser sur le front, mais après cet instant de douceur il se redresse immédiatement et sort de la pièce. La porte se ferme assez fortement. Entendre les paroles de Kenny est incroyablement déchirant... Livaï avait réussi à le pardonner, et je sais à quel point il était heureux de ça.

- Livaï...

Je continu de caresser sa joue, mon regard accroché à lui. Comme si mes yeux ne voulaient plus s'en détacher. Après ça je ne le reverrai plus, je ne veux pas oublier son visage. Je dois m'en souvenir courbes par courbes, détails après détails, comme une capture gravée dans mon esprit. Il le faut... Je ne peux pas oublier son visage, je n'en ai pas le droit. Je ne me le pardonnerai jamais.

- Monsieur, il vous reste cinq minutes...

Le médecin ouvre la porte pour me dire ces quelques mots puis la referme. Il me reste cinq minutes avant de quitter mon mari pour toujours... Je sais qu'il ne m'entend pas, mais j'aimerais lui dire quelque chose, n'importe quoi. Ne serait-ce qu'une phrase. Seulement, je n'arrive pas à parler. Je ne trouve pas les mots, les bons mots. Rien ne peut décrire ce que je ressens. Inconsciemment je regarde ma gourmette, comme si la solution allait apparaître sous mes yeux.

- À mon mari préféré....

Tout tremblant, mon doigt effleure la gravure avec maladresse, mais douceur. Je ne veux pas en endurer plus alors je sors en vitesse, j'ai l'impression d'être comprimé, d'étouffer. Kenny m'attendait, il pose une main dans mon dos et me propose de rentrer me reposer. Je n'en ai pas très envie, mais je suis tellement fatigué et encore sous perturbé que je ne veux rien faire du tout. Je n'ai plus envie de rien. Au moment où on passe par le couloir en direction de la sortie, on croise le même couple que lors de l'opération de Livaï. Ils nous aperçoivent et se dirigent vers nous, hésitants.