Chapitre 19

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Titus ouvrit difficilement les paupières, ou du moins peina-t-il à les ouvrir jusqu'à apercevoir Ariane qui l'observait depuis son chevet. La jeune fille était de toute évidence en pleine réflexion car dès lors que Titus se fût réveillé, le regard vide qu'elle affichait se reporta à lui.

« Te revoilà revenu parmi les vivants, mon cher Titus.

— Cela ne semble pas te réjouir, articula difficilement Titus.

— Il eut mieux fallu que tu restes dans ton sommeil : nous sommes recherchés dans toute la ville. Les soldats fouillent toutes les maisons une à une ; nos têtes sont mises à prix dans toutes les rues; et les quartiers sont rigoureusement contrôlés. Et, somme toute, les porteurs de la maladie sont exécutés. Cela suffit-il à te faire regretter ton sommeil ?

— Comment cela est-il possible ? interrogea Titus. Les sénateurs n'auraient jamais laissé faire ça.

— Les sénateurs n'existent plus, Titus. Mon père a usé de la situation dans laquelle nous l'avons laissé pour faire un coup d'état avec certains de ses partisans. »

Ne sachant quoi répondre, Titus étudia la pièce dans laquelle il se trouvait. Les murs décrépis, le plafond délabré, et le mobilier abîmé suffirent à lui faire reconnaître l'auberge du Torre Rouge.

« N'étions-nous pas censés aller chez Paulus ? C'est du moins ce que j'ai cru comprendre avant de m'évanouir, interrogea le jeune homme.

Ariane ne répondit pas.

— Ariane, où est Paulus ? demanda alors Titus, conscient que quelque chose ne tournait pas rond.

Ariane demeura silencieuse.

— Ariane réponds-moi ! insista Titus.

— Il n'est pas là, dit-elle simplement. »

Ariane se replia dans un coin de la chambre pour pleurer. Titus en profita pour jeter un coup d'œil à la fenêtre. Selon toute vraisemblance, il pleuvait dehors. L'eau ruisselait le long de la fenêtre de l'auberge, de même que les larmes coulaient le long de la joue d'Ariane. Titus y voyait un mauvais pressentiment. Il commençait vraiment à craindre le pire. Désireux d'en avoir le coeur net, il se risqua à poser la question :

« Il n'est quand même pas ...

— Non, il n'est pas mort, répondit sèchement Ariane.

Les deux jeunes gens furent alors interrompus par la matrone de l'auberge qui entra dans la chambre :

— Mademoiselle, c'est terrible ! annonça-t-elle. Ils fouillent les maisons du quartier ! Il faut que vous partiez d'ici !

— Mais Titus vient tout juste de se réveiller. Il n'est certainement pas en état de se déplacer, protesta la jeune fille.

— Vous n'avez pas le choix, s'ils vous trouvent ici, ils vous exécuteront ! »

Sa blessure ne lui laissant guère d'autre choix, Titus s'était épaulé à Ariane pour quitter l'auberge. Avant de partir, Ariane avait chaleureusement remercié la matrone de les avoir hébergés : « Ce n'est que service rendu ! » avait-elle répondu avec un clin d'œil. Ils étaient ensuite sortis par l'arrière-cours pour s'engager dans les ruelles les moins fréquentées.

Pendant qu'ils avançaient, Titus découvrait la ville sous ses plus sombres jours. Des corps jonchaient le pavé des rues. Ariane expliqua que ces corps étaient en majorité ceux des malades qui avaient été exécutés, mais qu'il y avait aussi les cadavres de révoltés. Leurs pas croisaient fréquemment celui d'une patrouille qui les obligeait à se cacher.

Ils avancèrent de la sorte pendant un certain temps, mais un soldat finit par les apercevoir au détour d'une ruelle : « Halte ! Par ordre du sénateur Albus, tout citoyen quittant le quartier doit se soumettre à un contrôle de la part des autorités ! » cria-t-il à leur égard. Ariane n'hésita pas un instant, et se mit alors à courir. Titus fut contraint de suivre le rythme malgré sa blessure. Il émit un cri tant la douleur lui était importante. Ils coururent un certain temps, et s'en sortirent uniquement parce que le soldat avait préféré appeler du renfort plutôt que de les poursuivre seul.

Voyant que Titus agonisait à ses côtés, Ariane fit une pause. Celui-ci en profita pour lui poser une nouvelle fois la question à laquelle elle s'était plusieurs fois dérobée :

« Ariane, me diras-tu où est Paulus ?

— Paulus est malade, répondit-elle en scrutant les deux extrémités de la ruelle. Il a contracté la peste, et son état est préoccupant. Je n'aimais pas trop rester avec lui, mais nous n'avons désormais plus le choix. Il faut rejoindre la demeure du sénateur Aper. Lui seul sera en mesure de nous aider. C'est lui qui mène la révolte.

— Ariane, la maison de Paulus est à l'autre bout de la cité. Nous n'y arriverons jamais. Notre sort est scellé !

— Non, il ne faut pas perdre espoir. D'ailleurs, puisque tu parles de sceau, j'ai percé celui de notre trouvaille, je veux dire le livre, précisa Ariane en voyant Titus froncer des sourcils. Je l'ai ouvert, et j'en ai lu quelques pages pendant que tu dormais.

— Et alors ? s'enquit Titus, intrigué. Il n'y aurait pas une incantation pour me guérir, à tout hasard ?

— Non Titus, crois-moi je l'ai longtemps feuilleté sans trouver. Maintenant, il faut y aller. Sinon ils vont nous trouver.»

Les deux jeunes gens reprirent leur route, mais Titus ralentissait considérablement leur marche. Ils finirent par s'engager dans une ruelle toute noire. Ils sursautèrent à la vue d'un homme qui les épiait devant eux sur le flanc d'une maison : « Foedus ! » souffla Ariane à Titus. Il s'agissait effectivement du mendiant auquel elle avait donné une pièce en sortant du Torre Rouge le soir où elle était allée soigner l'aubergiste.

Une lanterne éclaira la ruelle derrière eux : « Halte ! Au nom de la loi, arrêtez-vous ! » s'écria une voix. Les deux amis se mirent à courir en direction de l'autre extrémité de la ruelle, mais le rythme devint trop rapide pour Titus qui chuta en un cri de douleur.

« Titus ! Non ! Pas maintenant ! Il faut continuer !

— Désolé Ariane ... je vais m'arrêter là ... pars, et sauve-toi !

— Je ne peux pas t'abandonner Titus, lança la jeune fille.

— Ariane, c'en est fini de moi ... je vais les ralentir ... sauve le livre ... »

Ariane hésita un instant, puis commença à s'éloigner, mais ne put s'empêcher de se retourner au bout de quelques pas. Titus s'était relevé pour faire barrage aux soldats. Un premier trait le traversa au niveau du torse ; un second le frappa dans le ventre ; et un troisième le transperça au cœur, à l'endroit même de sa blessure. À ce moment-là, il s'écroula. Les glaives commencèrent à le rouer de coup, et cela suffit à décider Ariane de poursuivre son chemin. Mais il était trop tard.

Une lanterne éclaira la ruelle devant elle. Les deux extrémités de la rues étaient désormais bloquées. Ariane était prise au piège. En se retournant vers la cohue de soldats qui abattait Titus, elle fut prise par un sanglot. Elle distingua le jeune homme au sol. Lui aussi la distingua.

Son regard croisa brièvement celui de Titus.

Elle comprit.

Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant