Chapitre 1

295 44 297
                                    


« Publius Caius Scipio, la cour vous condamne à mort pour avoir soutenu la propagation de la peste dans l'enceinte de la cité. Toutefois, votre dévotion à l'Empire durant toutes vos années de services ne nous est pas indifférente. Aussi, votre exécution sera rapide et indolore : vous serez décapité demain à la tombée de la nuit. La séance est levée. »

La déclaration des juristes avait été reçue par une clameur au sein de l'assemblée. Malgré toutes les mesures de restriction et tous les interdits posés par les autorités, la salle d'audience était pleine. En effet, un bon nombre de mesures barrières avait été établi pour réduire au maximum les contacts humains afin d'endiguer le plus rapidement possible la maladie qui avait pénétré dans la ville, portée par le messager de Rome.

La maladie sévissait déjà dans un grand nombre de villes de l'Empire. Certains affirmaient qu'elle avait touché Alexandrie, Antioche, Ephèse et presque toute l'Italie. À en croire les rumeurs, elle aurait déjà suscité la mort de milliers de personnes et décimé des villes entières.

À Aquilée, les autorités avaient l'avantage, si minime qu'il soit, d'avoir quelques connaissances de la maladie, lesquelles leur étaient parvenues des contrées déjà contaminées. Aussi, avait-on presque immédiatement décrété que fussent mis en place des plans de restrictions pour éradiquer la maladie au plus vite.

Le procès de Scipio aurait dû se tenir à huis clos, mais quelqu'un, les dieux seuls savaient qui, avait fait courir le bruit que le coupable, celui qui avait sciemment accueilli une personne touchée de peste dans la ville, serait jugé dans la basilique. La nouvelle s'était répandue dans tout Aquilée en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, et, à la date convenue, tous les habitants s'étaient massivement rendus au lieu du procès. Les quelques gardes de faction avaient rapidement été submergés et tout le monde était déjà installé lorsque que les renforts arrivèrent.

Les jurés avaient alors jugé bon de suspendre la séance, et de la reporter à une date ultérieure, dans un lieu plus discret. Toutefois, face au peuple qui menaçait de sévir si justice ne lui était pas immédiatement rendue, les magistrats s'étaient résignés à ouvrir le procès.

La séance avait duré une longue heure durant laquelle avaient témoigné Marcus, le jeune soldat qui avait pris la relève de Scipio, et Capito, le médecin de garde. Tous deux avaient déclaré que Scipio avait délibérément laissé entrer un messager de Rome, sans le soumettre au test de rigueur. Le médecin avait même ajouté que Scipio savait pertinemment que Lucius présentait les symptômes de la maladie, et qu'il avait sciemment fermé les yeux sur la situation, parce que c'était son ami. Il n'en fallut pas davantage pour éveiller le courroux de la foule.

Scipio, quant à lui, ne s'était pas prononcé. Il avait subi le procès sans broncher. À la fin des témoignages, les sept jurés s'étaient retirés pour délibérer dans une pièce à l'écart. Ils se grattaient tous leur longue barbe blanche. Les barbes avaient été longtemps vues du mauvais oeil dans tout l'empire. Sauf que depuis le règne de l'empereur Hadrien, successeur de Trajan, il y avait de cela quelques décennies, celle-ci avait commencé à acquérir une connotation d'expérience et de sagesse. C'était la raison pour laquelle, tous les hommes, à partir des 40 ans, se la laissaient pousser. Des sept magistrats qui avaient participé au procès de Scipio, un seul était imberbe ; Anius Aurelius Aper. S'il l'était, c'était parce qu'il n'avait pas encore atteint la quarantaine.

Aper avait des origines obscures. On racontait qu'il était le fils d'une fille de joie, originaire des régions sauvages de la Bretagne, dont était tombé amoureux un légat romain. Il était donc de sang barbare de par sa mère, mais romain, et patricien de surcroit, de par son père. Toutefois, personne n'avait jamais réussi à confirmer ces rumeurs, et le magistrat ne parlait que peu, voire jamais, de ses origines. La seule chose dont on se souvenait, était un jeune d'une vingtaine d'années, le regard et espiègle et le sourire charmeur. 

Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant