Ariane marchait en direction du Torre Rouge. Seule, éperdue au milieu du dédale de la cité, elle errait au travers des rues désertes cherchant son chemin. L'obscurité lui brouillait tous les sens et, au milieu de la nuit, seules subsistaient les étoiles pour l'orienter. Lorsqu'enfin le nuage qui masquait la Lune s'en fut, la clarté revint. Ariane put reprendre sa marche avec le peu de vision qu'elle recouvra.
Après plusieurs minutes, l'enseigne lui apparut au bout d'une ruelle. Elle s'empressa d'atteindre la porte. Elle n'eut pas besoin de se faire annoncer, un esclave la lui ouvrit. Il la guida jusqu'aux appartements de ses maîtres. Avant d'entrer, elle inspira fermement, puis elle pénétra dans la chambre.
Une chandelle éclairait l'intérieur de la pièce. Prosper Ebrius était étendu dans son lit. De la sueur ruisselait de son front. Son torse découvert laissait entrevoir les rougeurs qui le parsemaient. De temps à autre, en proie à un spasme, il se mouvait brusquement dans ses draps. Près de lui, sa femme Drusilla était agenouillée, lui appliquant un linge sur la tête.
Au signe de l'esclave, Ariane s'approcha de l'aubergiste et l'examina attentivement. Après l'avoir inspecté pendant plusieurs minutes, la femme se tourna vers elle :
« Alors ? s'enquit-elle.
– Cela ne laisse point de doute, lui répondit Ariane avec un ton grave.
– Alors malgré toutes nos précautions, la maladie nous aura aussi atteints. La faute est à ce messager de Rome, mais plus encore à celui qui le laissa entrer à Aquilée ! Sa sentence ne fut que trop clémente !
– Il est difficile d'affirmer par où la maladie vous a atteint. Les médecins de la ville ne s'appuient que sur la manifestation de symptômes pour dénombrer les contaminés. Je ne suis pas d'accord avec eux. Je pense que la cité regorge de malades parmi lesquels beaucoup ne présenteraient pas de symptômes apparents. Aussi, je ne considérerais pas forcément le romain comme responsable. N'importe qui aurait pu vous ...
L'esclave les interrompit :
– Madame, Fronto est rentré. Il me fait vous remettre ceci, dit-il en exposant deux grosses bourses à la matrone.
– Ouvre-les ! ordonna la dame.
L'esclave les ouvrit, laissant apparaître plusieurs pièces de cuivre.
– Par Pluton ! Voici un esclave bien efficace !
Puis se tournant vers Ariane :
– Ce sera tout pour ce soir. Voilà pour toi, dit-elle en lui tendant la plus maigre des deux bourses. »
Depuis une semaine, Ariane visitait chaque soir la ville d'Aquilée. Il était désormais de notoriété publique qu'elle souhaitait se faire apothicaire. Cela avait fait scandale à l'époque. Une femme qui voulait travailler ! Et puis quoi encore ? Aujourd'hui, les bonnes vieilles mœurs avaient été oubliées et on avait rapidement fait appel à elle. Mais Ariane préférait agir en toute discrétion et œuvrer le soir après le crépuscule à l'insu de son père. Quant à sa mère, elle était décédée quelques années plus tot.
Sa rencontre avec Titus lui avait été quelque peu inopportune. Elle l'aimait bien, mais il l'avait retardé. Aussi, lorsqu'il avait détourné son attention, elle s'était éclipsée en catimini. Elle avait esquissé juste un regard à ce qui se tramait dans la rue contigüe ; un regard bref mais qui lui avait suffi à se faire une idée de la situation. Tant de choses s'étaient passées ce jour-là ! Elle avait attentivement écouté le procès de Scipio ; l'avait suivi tout le long de son calvaire vers les geôles de la ville ; et avait assisté à son incarcération au milieu des ovations de la populace.
Elle repensait à tout cela sur le chemin du retour lorsqu'elle remarqua au bout de la rue une silhouette qui se déplaçait vers elle. Elle reconnut Fœdus au premier regard. Qui était-il ? Nul ne le savait réellement. Il ne possédait pas d'autres noms que celui qui lui avait été donné par le quartier, Fœdus. C'était un sans-abri qui était toujours ivre, du soir au matin. Il vivait dans la rue depuis des années, dans l'indigence totale, et dépensait toute aumône qu'il recevait en alcools. Ce soir-là, il grelottait. Mais ce qui inspira le plus pitié à Ariane, ce fut son bras qui arborait les memes marques que celui de Prosper Ebrius.
Elle tira quelques sous de sa bourse, et les lui remit. Esquissant un sourire, le vieillard lui fit un signe de tête en guise de remerciement. Alors, sans plus s'attarder, elle reprit sa route.
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Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]
Gizem / GerilimLe mal, c'est la folie des hommes. Au cours des siècles, ils ont généré et affronté tant de calamités, mais chaque fois, les drames se sont répétés. L'histoire de l'humanité c'est le reflet de notre présent : les hommes n'apprennent jamais de leurs...