Chapitre 8

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Titus et Ariane voulurent bombarder Paulus de questions pour essayer de lui tirer les vers du nez, mais rien n'y fit. Il leur dit que ce n'était ni le lieu, ni l'endroit pour en parler. Après avoir donné des recommandations ultérieures à Tiberius qui était secoué par tout ce qu'il voyait et entendait, il sortit dans la nuit, entraînant ses compagnons avec lui. Ils se dirigèrent vers la maison d'Ariane où ils avaient décidé de se cacher le temps que Paulus trouve un endroit plus discret. Ils parlaient à voix très basse pour ne pas attirer l'attention et surtout pour ne pas que leurs conversations tombent dans des oreilles indiscrètes. Titus émit l'idée de rentrer chez lui mais ses compagnons l'en défendirent absolument. Quand il voulut savoir pourquoi, Paulus lui répondit qu'ils en reparleraient plus tard.

« Et comment vas-tu expliquer notre disparition à ton père ? » Cette fois, c'était Titus qui avait posé la question, alors qu'ils s'approchaient de la maison d'Ariane.

« Je lui dirai tout simplement que je t'ai tué, et que je me suis... »

Comme il ne poursuivait pas sa phrase, Titus entreprit de lui demander : « Et que tu t'es quoi ? »

Titus qui à côté d'eux ne se préoccupait pas qu'ils fussent vus pressait Paulus pour avoir des réponses à ses questions. Celui-ci répondit enfin « Je me rends compte maintenant que j'aurais dû agir différemment. »

« Comment ? » demanda Titus avec toujours plus d'impatience.

« J'aurais dû vous faire passer pour des cadavres, vous charger sur un chariot et vous faire sortir de la maison de mon père. Ça aurait été bien plus pratique et surtout ça aurait évité à ce pauvre Tiberius toute l'humiliation et l'embarras qu'il a du ressentir. »

« C'est un peu trop tard pour penser à ça. » lui répondit Titus.

« Et c'est surtout une très mauvaise idée. » ajouta Ariane. Titus haussa un sourcil en signe d'interrogation. « C'était peut-être pratique pour nous enfuir de la maison de ton père, » poursuivit-elle. « Mais pour passer inaperçu dans la ville. Ça aurait été beaucoup plus compliqué. Et puis Titus a raison. Il est un peu trop tard pour penser à ça. Bénissons les dieux de nous avoir gardé des rencontres malencontreuses jusqu'à maintenant, et dépêchons-nous de nous cacher avant qu'ils ne décident de changer d'idée. »

« Et comment on fait pour rentrer chez toi sans attirer l'attention ? » demanda Titus.

« Toi tais-toi et contente-toi de nous suivre. » Une fois de plus, Titus sentit monter en lui la frustration face aux secrets qui liaient ces deux-là et auxquels il était étranger.

« Il y a un passage secret. » dit Paulus en remarquant sa mine.

« Mais combien il y a de passages secrets dans cette ville ? »

« Bien plus que tu n'en pourrais creuser en deux vies entières. »

Titus poussa un grognement et les suivit. Cette nuit-là, il dormit dans la chambre d'Ariane. Celle-ci lui imposa un silence de tombe. « Dans la maison de mon père, les murs ont des oreilles, au sens littéral du terme. » dit-elle.

Paulus les laissa seuls. Il revint le lendemain leur annoncer qu'il avait trouvé un abri. Comme pour la fois précédente, ils attendirent la tombée de la nuit pour s'éclipser. Le jeune soldat les conduisit jusqu'à un taudis misérable qui semblait plus avoir besoin de protection qu'il n'en était capable de fournir lui-même. C'était une pièce unique. Titus qui était un artiste en évalua presqu'immédiatement les dimensions qui étaient assez classiques et donc faciles à deviner. La pièce devait faire une dizaine de pieds de largeur, et une quinzaine de longueur.

Toutefois, l'état du bâtiment était pitoyable et c'était presque un euphémisme de dire qu'elle était miteuse. Elle était entièrement en bois, et visiblement en fin de vie. On apercevait les termites en train d'achever le travail de putréfaction commencé par l'humidité. Il aurait suffi de s'appuyer sur l'une des parois pour qu'elle s'effondre. Quand Titus vit le toit, ou plutôt quand il ne le vit pas, il pria Jupiter de maintenir les écluses du ciel closes pour tout le temps où ils habiteraient dans ce refuge. Le sol quant à lui était non seulement plein de moisissure et de poussière, mais en plus, à chaque pied carré semblait se développer des écosystèmes tous plus dégoûtants les uns que les autres. On pouvait en outre voir des rats courir sur toute la superficie de la baraque. Le tout était si répugnant qu'il provoquait un haut-le-cœur rien qu'à le regarder. Titus se sentit frémir. Il était sur le point de jurer qu'il ne passerait pas une seule nuit dans ce lieu, quand la voix d'Ariane le tira de ses pensées : « C'est quoi cet endroit ? Hors de question qu'on s'installe ici. »

« Mais c'est l'endroit idéal. Ici, personne ne viendra jamais nous chercher. »

« Mais tu as perdu la tête ? C'est sûr que nous n'aurons pas besoin de craindre la peste ici parce que toute cette insalubrité aura largement le temps de nous tuer avant. Elle ferait peur à la peste elle-même. » répondit Titus avec sa fougue habituelle.

« Ne vous en faites pas. Nous ne dormirons pas ici. Considérez cet endroit comme un lieu de réunion où nous pourrons parler en toute tranquillité. Puis le soir vous pourrez retourner chez Ariane. »

« Mais de quoi devrions-nous parler quand la peste frappe partout ? C'est elle qui devrait être notre seule préoccupation. »

« Personne ici ne craint la peste, à part toi peut-être. Si ça se trouve, cette maladie n'existe même pas et tout ce cirque n'est qu'une manigance de l'empereur pour calmer les ardeurs de tous ces gens qui se plaignent de l'empire et leur donner de quoi occuper leurs pensées. Entre temps, nous avons d'autres problèmes plus importants. » rétorqua Paulus.

« Une manigance dis-tu ? Alors comment justifies-tu les morts et les symptômes ? Et d'ailleurs c'est quoi cette réunion ? Quelqu'un veut bien enfin m'expliquer ce qui ne va pas ? La première se rend malade toute seule et puis sa main qui est promise au père de l'autre, et un soldat garde-corps qui va et qui vient. Et puis... »

« Tu peux arrêter avec tes jérémiades s'il te plait ? » dit Ariane en perdant patience.

« Et moi je n'en peux plus de tout ce mystère. Depuis que je me suis réveillé, il n'y a que des énigmes qui s'enchaînent, et... »

« Et quoi ? Tu aurais peut-être préféré qu'on te laisse mourir ? »

« Peut-être. » lança-t-il sèchement.

Ariane resta sans voix face à tant d'ingratitude. Elle n'en revenait pas qu'il ait vraiment osé répondre ça. Elle voulut sortir. Mais Paulus la saisit fermement par le bras, en lui lançant un regard qui en disait long. « Titus te présentera ses excuses plus tard. » Ce dernier voulut répliquer mais le jeune soldat ne lui en laissa pas le temps. « Toi la ferme ! » trancha-t-il avec autorité dans la voix et du feu dans les yeux. Titus préféra ne pas le contredire. « Tu as déjà causé assez de dégâts comme ça avec ta sale gueule. Tu ferais mieux d'essayer de te taire un peu. »

Titus ne trouva rien à y redire. Il se rendait compte que Paulus avait raison. Celui-ci d'ailleurs ne lui laissa pas le temps de trop rêvasser. « Bien, je t'explique tout une bonne fois pour toutes. » dit-il. 

Il raconta à Titus les raisons pour lesquelles Ariane avait dû feindre de tomber malade. Il se tramait un complot dont eux seuls étaient au courant. Du coup Ariane avait eu l'idée d'utiliser cette stratégie pour essayer de leur donner une liberté de mouvement le temps qu'ils élucident l'affaire. L'histoire qu'il raconta confirma les doutes de Titus. Le vieux garde Scipio avait été victime d'un coup monté qui avait pour but de l'éliminer. Et Titus était lui aussi directement impliqué parce qu'il avait assisté à la scène de l'assassinat des deux témoins le fameux soir où il avait rencontré Ariane. Voilà pourquoi il ne pouvait pas rentrer chez lui. Paulus révéla qu'il soupçonnait son père d'être impliqué dans tout ça vu comment il s'était vanté d'avoir fait condamner Scipio.

« Et qu'est-ce qui l'aurait poussé à faire condamner Scipio ? » demanda Titus.

Paulus prit une inspiration, sentant le poids de ce qu'il s'apprêtait à dire. Puis regardant Titus dans le blanc de l'œil, il lui répondit : « Les dieux ! »

Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant