Chapitre 2

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Titus repensait au procès. Il avait écouté avec indignation les témoins raconter leurs babillards. Ce qui l'écœurait le plus, ce n'était pas les filets de mensonges qu'ils racontaient, mais le fait que ceux qui s'étaient toujours présentés comme les amis de Scipio, et n'avaient jamais tari d'éloges à son égard, étaient les mêmes qui avaient témoigné contre lui. Il se demandait comment un homme pouvait ainsi changer du jour au lendemain. Si Titus blâmait la négligence de Scipio, il ne laissait guère ses ressentiments étouffer son bon sens. Et face à d'aussi abjects témoins, son bon sens lui indiquait qu'il y avait bien anguille sous roche. « Quand ont-ils commencé à jouer la comédie ? » se demandait-il. Si leur amitié pour Scipio n'avait pas été feinte, alors c'est leur témoignage qui l'avait été. Et le jeune Titus se tracassait à l'idée de ne pas pouvoir trouver de réponses à ses questions.

Il broyait du noir quand il rentra chez lui. Tout l'avait dégoûté dans ce procès. L'agitation de la foule, les témoins, et le verdict, tout lui paraissait débectant. Il se demandait comment on pouvait perdre autant de temps à un procès, alors que la ville devait faire face à des problèmes bien plus sérieux. Il passa le seuil de sa maison la mort dans l'âme et gagna immédiatement son lit. Il ne réussit pourtant pas à fermer l'œil. Ses idées s'envolaient sans cesse vers Scipio et son funeste sort. N'en pouvant plus de se retourner dans sa couche, il décida de se lever pour aller faire un tour. Il sortit de sa maison à l'insu de ses parents, car il savait que jamais ceux-ci ne l'auraient laissé sortir à cause de toutes les restrictions dues à la peste.

En effet, un couvre-feu avait été mis en vigueur, les rassemblements avaient été interdits, et tous les lieux publics avaient été fermés. Titus savait bien à quoi il s'exposait en sortant de la maison. Il aurait payé cher s'il avait été pris en train de vadrouiller dans la ville à pareille heure, mais pour se donner bonne conscience, il se dit qu'il n'avait pas le choix, et que sortir prendre l'air était la seule chose qui pouvait le calmer. En outre, il déambulerait tout simplement dans les rues où il était sûr de ne rencontrer personne.

Titus connaissait Aquilée comme le fond de sa poche et savait bien quelles étaient les routes susceptibles d'être surveillées. Il se dirigea donc vers celles où il était certain de ne croiser aucune patrouille. Il marchait depuis une demi-heure et commençait déjà à retrouver le calme quand des voix le tirèrent de ses rêveries. Il leva les yeux et vit deux hommes dont un en armure. Cela le surprit car il ne s'attendait pas à trouver une patrouille dans cet endroit. Il se cacha aussitôt au coin d'une rue, et tira la tête pour voir ce qui se tramait. Les deux hommes lui tournaient le dos, et Titus put se rendre compte qu'il ne s'agissait pas d'une patrouille, mais d'un soldat et d'un citoyen ordinaire.

« Il est en retard, comme toujours, disait le soldat.

– Patience ! répondait le civil. Il finira bien par arriver ».

Titus tomba des nues. Il aurait reconnu ces voix entre mille. Sa certitude était grande du fait qu'il les avait entendues le matin même durant le procès. C'étaient Marcus, le jeune soldat, et Capito, le médecin, qui tous les deux avaient témoigné contre Scipio. Ils avaient dit qu'ils attendaient quelqu'un. Le jeune homme commença à s'inquiéter. Le « quelqu'un » pouvait survenir de n'importe où, y compris de la rue où il se trouvait. Il se demandait comment il devait réagir, et s'il n'était pas temps de prendre ses jambes à son coup, lorsqu'il entendit un bruit sur sa droite. Il tourna la tête et étouffa de justesse un cri d'horreur face à ce qui lui était apparu devant lui. Sous ses yeux se tenait Ariane.

Ariane était une jeune fille de son âge. Titus en était amoureux depuis la première fois qu'il l'avait vue, trois ans plus tôt. C'était une splendide jeune femme. Ses cheveux blonds lui arrivaient à hauteur des épaules. Titus s'était toujours demandé pourquoi elle les tenait si courts étant donné que ceux de la majorité des jeunes filles tombaient aisément jusqu'au bas du dos. Mais c'était ce qui faisait un peu leur particularité et les rendaient si attirants. En outre, elle avait les yeux clairs, qui semblaient sonder le jeune homme jusqu'au tréfonds de ses entrailles. Et ses courbes étaient si parfaites qu'on l'aurait dite sortie d'un moule façonné par Vulcain lui-même en calquant les formes de sa divine épouse Vénus. Mais ce qui plus que tout charmait Titus, c'était son sourire qui apportait autant de lumière qu'une lampe soleil.

Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant