Le Mal du siècle [En collaboration avec Nanton]

Chapitre 9

« Les dieux ? » demanda Titus ahuri, observant Ariane qui conservait son calme habituel. Titus se demandait comment elle faisait pour rester aussi tranquille face à des révélations aussi inattendues. Il finit par penser qu'elle avait déjà été mise au courant de tout cela.

« Oui, Titus, les dieux. » reprit Paulus.

« Et qu'est-ce qu'ils viennent faire dans cette histoire ? » demanda Titus. Paulus prit une inspiration avant de continuer.

« Scipio faisait partie d'une secte, un groupe de croyants bizarres venus de la zone orientale de l'empire...»

« De la Judée plus précisément. » ajouta Paulus.

« Exactement » ajouta Ariane avant de poursuivre. « Et ils se sont installés à Rome il y a un peu plus d'un siècle. Depuis lors, ils n'ont cessé de se multiplier. »

« Mais c'est absurde ce que tu me racontes là. » repartit Titus. « Scipio était un citoyen romain de sang pur comme chacun d'entre nous ici. Il n'a rien à voir avec ces barbares dont tu me parles. »

« Tu as raison sur un point. » reprit Paulus, « Scipio était vraiment citoyen romain. Cependant cette secte dont nous parlons prétend ne pas faire de distinction entre l'origine ni la condition sociale, ni rien de tout ça. Ils se sont fait des adeptes partout, entre romains, grecs, esclaves, centurions, jeunes filles, vieillards et enfants. De plus, ils osent dire que nous sommes tous frères et qu'il n'y a pas de différence entre les hommes parce que nous sommes tous égaux. »

« C'est une blague c'est ça ? Qui pourrait véhiculer ces histoires d'égalité entre les hommes ? C'est insensé ! » demanda Titus, toujours plus surpris.

« Je ne te le fais pas dire. Mais quand on voit comment ils se font appeler, on n'est pas surpris de ce qu'ils peuvent raconter. »

« Comment se font-ils appeler ? » interrogea Titus.

« Ils se font appeler chrétiens. Je n'ai jamais rien entendu de plus ringard. » répondit Paulus.

« C'est clair que niveau marketing, ils ont encore une large marge de progression », répliqua Ariane, la mine étrangement boudeuse, avant de poursuivre « Sauf qu'en général, ces personnes-là n'ont que faire du marketing. »

« Ça reste quand même flou ce que tu me racontes. » reprit Titus. « Mais ceci ne prouve pas que Scipio faisait partie de ces gens. Rien n'explique le complot contre lui, et encore moins le rapport avec les dieux. De toute façon ce n'est pas la seule secte de l'empire. On ne compte plus de nos jours les groupes religieux qui sont apparus, qui ont fleuri en un rien de temps avant de disparaître. Rome a toujours laissé ses citoyens exercer librement leurs pratiques religieuses. Plus on a de dieux à nos côtés, plus le destin nous est favorable contre nos ennemis. »

« Sauf qu'aujourd'hui les croyances religieuses sont liées plus à l'effet de mode qu'à la foi. » répliqua Paulus. « Les gens recherchent ce qui est tout feu, tout flamme. Et puis un jour, inévitablement ils se lassent. Et alors, ils vont voir ailleurs. »

« Certes mais dans notre cas les choses fonctionnent différemment. » lui répondit Ariane. « Les chrétiens soutiennent qu'il n'y a qu'un seul dieu ; le leur. Selon eux, toutes les divinités romaines ne sont que des idoles qui ne méritent pas le culte qu'on leur rend parce qu'elles n'existent pas vraiment, et par ricochet, ils soutiennent que l'empereur ne mérite pas non plus toute la révérence divine dont il fait l'objet, même si en même temps, ils reconnaissent son autorité politique. »

Titus ne put s'empêcher de rire sous les yeux interdits de ses compagnons qui se demandaient quelle pouvait bien être la cause d'une telle euphorie. Quand il retrouva son calme, il articula : « Mais qu'importe ! Ils peuvent bien raconter ce qu'ils veulent, cela ne nous préoccupe pas. Entre nous cela fait un peu partie de la dynamique de l'Empire, n'est-ce pas ? D'ailleurs, n'ai-je pas moi-même joué l'espion frustré qui maudissait Rome devant le magistrat Aper ces derniers jours. Que les dieux se défendent eux-mêmes, si vraiment ils se sentaient outragés. Moi je ne vois toujours pas le lien avec ton père. Pourquoi c'est lui qui devrait prendre leur défense ? »