Chapitre 5.

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C'était interminable. Cela faisait déjà vingt-cinq minutes que mon père parlait sans me laisser en placer une. Je ne pouvais donc rien dire. Il s'indignait premièrement par rapport au fait que je sois revenue sur une moto. Je ne savais pas ce qu'il avait contre ces véhicules. Certes, ça allait vite, mais les autres moyens de transport étaient aussi dangereux, selon moi. Puis, il s'énervait parce que je ne portais pas de casque. Bon, sur le coup, je le comprenais, ce n'était vraiment pas très responsable de notre part, mais nous avions roulé à une vitesse raisonnable et sur une courte distance, et puis surtout, nous étions saufs. Alors j'avais du mal à comprendre le problème, pour le moment. Puis, pour finir, il commençait à me poser des dizaines de questions sur Baji. Comment s'appelait-il, quel âge avait-il, d'où venait-il, où est-ce que je l'avais rencontré, qu'est-ce que je faisais avec lui...Tout, il voulait tout savoir. Mais il parlait tellement vite que je n'avais pas le temps de répondre. Il émettait bien vite l'hypothèse que ce soit un délinquant, puisqu'il ne portait pas de casque. Selon lui, une petite infraction pouvait faire de nous des délinquants. Enfin...il lui en fallait peu. Traverser une rue sans utiliser le passage piéton était un drame pour lui.

Mais il ne s'arrêtait pas là, il blâmait ensuite le fait que je sois sortie après les cours, surtout "pour aller rouler sur ce stupide véhicule avec un voyou". J'essayais de lui dire que ce n'était pas uniquement pour ça, et qu'en fait j'essayais de l'aider avec ses difficultés, mais en vain. Il me coupait toujours la parole et c'était insupportable.

Les minutes passaient encore, puis l'ordre final de mon père tombait. Je commençais à m'y attendre, à celui-ci. Ce n'était pas une grande surprise venant de lui.

-Je ne veux plus que tu fréquentes ce garçon. Il ne me met pas en confiance, Ryoma. Si j'apprends que tu le fais dans mon dos, ce n'est pas difficile, je te changerai d'établissement scolaire. L'amusement n'a pas sa place dans tes études. Monte dans ta chambre et va réviser quelques formules de chimie, s'il te plaît. M'avait-il ordonné.

Je m'étais donc rendue dans ma chambre sans broncher. Je ne pouvais rien dire de toute façon, ça l'aurait rendu encore plus en colère qu'il ne l'était déjà et ce n'était sûrement pas la meilleure chose à faire pour le moment si je ne tenais pas à changer de collège. Mais toutes ces restrictions m'énervaient. Malgré tout j'allais obéir à mon père. Je n'aimais pas faire les choses dans son dos. Et puis je ne voulais pas changer de collège non plus, alors voilà. Il me suffirait simplement d'ignorer Baji, de ne plus lui parler et d'éviter de le croiser en sortant de cours. C'étaient les ordres de mon père et je me devais de lui obéir. Ça avait toujours été comme ça, depuis toute petite je ne lui avais jamais désobéi. Son autorité date du commencement, et il était ainsi autant avec moi qu'avec ma mère.

D'ailleurs, je n'ai encore jamais mentionné ma mère. Elle s'est divorcée de mon père quand j'avais huit ans. Elle en avait marre des limites étouffantes posées par mon père, alors elle s'est éclipsée. J'aurais voulu la suivre, mais je n'ai pas pu pour la simple et bonne raison que c'est une femme d'affaires toujours en déplacement pour le travail. Bien sûr, quand elle revient à Tokyo, je me rends directement chez elle. Nous nous entendons très bien et la vie est bien plus agréable avec elle. C'est une femme qui vit au jour le jour. Quand j'étais partie en vacances avec elle, une fois, nous sortions les soirs, nous allions aux soirées organisées par certains comités... c'était vraiment superbe. Partir un peu avec elle me manquait. Elle devait bientôt rentrer de son dernier déplacement d'ailleurs. J'espérais de tout cœur qu'elle soit là pour mon anniversaire, afin que je le passe chez elle. Car mon père n'aimait pas ça. Les gâteaux, les fêtes... c'était inutile pour lui, alors je n'en avais pas. Mais pourtant, j'aurais aimé en profiter cette année. Ne serait-ce qu'avec ma famille.
J'y pensais un peu. Ma mère n'aurait pas réagi comme ça pour Baji. Elle aurait été heureuse que j'aie des amis, au contraire. La connaissant, elle l'aurait même invité à manger pour le soir afin de le remercier de m'avoir raccompagnée. En bref, mes parents, c'étaient le noir et le blanc.

Et après avoir lâché un long soupir, je me mis donc à mes révisions, avec très peu d'envie. Ce n'était vraiment pas ce qui m'animait le plus mais bon il fallait le faire, il fallait obéir.
Puis au bout d'une trentaine de minutes, j'en avais marre. Alors je ressortais mon téléphone, et composais le numéro de ma mère. J'avais besoin de lui parler un peu, alors j'espérais qu'elle ne soit pas en réunion. Par chance, elle ne faisait rien à ce moment, alors elle avait décroché.
Nous avions donc parlé pendant presque une heure. Elle me promettait qu'un jour elle trouverait un poste plus stable pour rester à Tokyo, afin que je parte vivre avec elle. Cette idée m'enchantait au plus haut point. Je n'en pouvais plus de mon père, mes limites commençaient à être atteintes.
Et après avoir raccroché, j'avais terminé ma journée normalement, un peu apaisée par ses dires, mais toujours énervée des ordres de mon géniteur. Je m'étais couchée assez tôt. Cette journée m'avait vidée de toute mon énergie.

Le lendemain, à mon retour au collège, je n'avais pas adressé un seul regard à Baji. Pas un seul mot. J'avais fait mon entrée dans ma salle de classe et m'étais installée dans le plus grand des silences. Il avait essayé de me parler pendant les pauses, mais je l'avais ignoré et n'avais donné aucune réponse.
Je passais mon temps à les éviter, lui et le fameux blond nommé Chifuyu. J'allais manger à l'écart pour ne pas me retrouver avec lui, je m'enfilais dans la foule lorsque nous étions dans les couloirs, afin qu'il ne me croise pas. Je faisais tout pour ne pas avoir de contact avec lui.

Puis je continuais le lendemain, et le surlendemain, et les jours qui suivaient ces derniers, à la grande joie de mon père, qui souriait lorsque je répondais négativement à ses questions du genre "Tu as reparlé au délinquant?"

Mais malgré tout je me sentais oppressée, j'en avais marre. Je voulais lui parler. Je voulais remonter sur sa Suzuki pour aller boire un verre, je voulais encore l'aider à combler ses lacunes, je voulais encore discuter de motos avec lui. Mais c'était impossible, les ordres étaient les ordres. Ma vie n'était pas faite pour que je rencontre des gens. Je me devais juste de travailler et ramener des bonnes notes pour mon père.

Dans une autre vie, dans un autre monde, je le vivrai.

Angels can't fly down hell. (BAJI KEISUKE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant