Chapitre 8 - Partie 1

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BLACK EYES

Des enfants s'amusaient à jeter des cailloux aux prisonniers attachés les uns aux autres par de lourdes chaines. Ils formaient une longue file qui avançait inexorablement. A la manière de pantins, les têtes étaient recroquevillées et les cous repliés pour éviter les douloureux jets de pierre.

- A mort les pirates ! A mort ! Vive Black Eyes !

Alessandro souriait, amusé par la vivacité de la foule qui s'amassait le long de son chemin. Du haut de son cheval richement harnaché, le jeune homme à la tête du convoi saluait la foule en contrebas. Ce cheval était bien docile, se disait-il. Le marchand avait hésité avant de le lui donner, mais qui refuserait une demande à Black Eyes ? En plus, il était parfaitement assorti à son manteau.

Il continua son ascension vers le pénitencier, acclamé par les habitants de Hexington ravis d'assister aux derniers instants de ces charognards des mers fraichement capturés. C'était une habitude : après chaque escorte, il menait personnellement les criminels attrapés en ville pour montrer à tous que Black Eyes était un professionnel de renom.

Son regard croisa celui de jolies demoiselles fort maquillées sur sa gauche. L'une d'elle se mordait sournoisement les lèvres tandis que l'autre lui faisait des signes de la main. Alessandro leur rendit leur sourire : un sourire prédateur contrebalancé par la délicate inflexion de ses sourcils donnant une douceur inattendue à son expression. Il le savait, il avait un effet redoutable sur les femmes et n'hésiterait pas à en abuser lorsque ce soir il se rendrait en ville, pensa-t-il en leur envoyant un baiser tandis qu'elles lui jetaient une rose.

Il tira un coup sec sur la chaîne qu'il tenait dans l'autre main, faisant trébucher le premier prisonnier derrière lui pour amuser ces demoiselles. Celui-ci eut à peine le temps de se relever qu'on lui vida un saut sur la tête ; un saut dont le contenu dégageait une odeur repoussante.

Le jeune cavalier s'esclaffa en cœur avec la foule. Difficile de mépriser plus les pirates que lui. Les capturer ou les tuer, il en avait fait sa spécialité et le Monde le reconnaissait pour son efficacité. C'était la première fois qu'il venait à Hexington, et pourtant les gens le voyaient déjà comme leur gardien. Ce petit avant-poste britannique des Mers du Sud était régulièrement la victime d'actes de piraterie et n'avait pas beaucoup de moyens pour se défendre, alors quand ils avaient appris que lui et ses hommes arrivaient, une célébration s'était préparée promptement.

Quelques corsaires anglais à l'arrière de la foule lui jetèrent des regards sombres. Il leur lança le même sourire qu'aux demoiselles, mais cette fois avec sarcasme.

- Regardez messieurs, les railla-t-il, de la bonne fripouille des mers. Ça ne doit pas courir les rues par ici, n'est-ce pas ?

Leur agacement se transforma en fureur, galvanisant ainsi le jeune homme le cheval entre les jambes. Attraper des pirates était leur seul gagne-pain en ces temps de paix, alors chaque homme qu'il ramenait était une prime en moins pour eux. Alessandro n'avait aucun scrupule à leur couper l'herbe sous le pied : longtemps il avait voulu devenir corsaire, et longtemps on lui avait ri au nez. Maintenant, il prenait un malin plaisir à rabaisser ses marins du passé voués à disparaitre. Il était plus efficace qu'eux, et moins cher.

Les corsaires se détournèrent et quittèrent son champ de vision. Alessandro se reconcentra sur son avancée, satisfait. Le groupe arriva devant les geôles de Hexington. Un homme était assis à une table en bois au milieu de la petite cour. Des soldats se dépêchèrent et prirent les chaînes des mains d'Alessandro. Ils conduisirent les prisonniers en colonne devant la table en bois où le magistrat commençait à poser des questions au premier pirate et à griffonner rapidement ce que le jeune homme devinait être un ordre d'exécution.

Les Lames de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant