• Chapitre 2 • PC

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Gabriella

— Où sont passées vos bonnes manières ? miaule-t-il, trop proche de moi.
Je meurs d'envie de laisser aller cette phrase très vulgaire qui me gratte le bout de la glotte mais, ma raison m'en empêche.
— Apparemment, elles se sont enfuies avec les vôtres.
Je serre les dents et scrute le coin de ses lèvres qui s'allonge face à ma répartie.
— J'espère qu'elles passent du bon temps au moins. La profondeur de son regard, armé de sous-entendus me laisse bouche bée. Que répondre à ça ?
— Calmez vos ardeurs de mâle Alpha et retourner posez vos fesses dans votre Ford.
Je ne sais pas ce qu'il me prend de parler sur un ton aussi agressif, sûrement la tension électrique qu'il y a entre lui et moi.
— Qu'est-ce qu'elles ont mes ardeurs de mâle Alpha ? Et, est-ce que mes fesses vous dérangent tant que ça ? Son regard passe de mes yeux, de mes lèvres jusqu'à mon décolleté. Je devrais le gifler d'oser me mater comme ça mais, pour je ne sais quelle espèce de raison ça ne me dérange pas le moindre du monde, j'aimerais même qu'il me regarde d'avantage. Lorsque ses yeux se mettent à dévorer mes lèvres du regard, je sens mon coeur s'emballer. Arrête d'agir comme une putain de pom-pom girl avec un QI aussi élevé qu'un pigeon Gabriella !
Finalement ses beaux yeux azurés plongent dans les miens et j'ai comme l'impression de lire une pointe de surprise camouflée derrière la brume de convoitise qui encercle ses prunelles. Sa main s'approche de mon visage et il vient capturer mon menton entre son index et la pulpe de son pouce, je ne le repousse pas et le regarde se rapprocher de plus en plus, jusqu'à sentir son souffle chaud et humide contre mes lèvres.
Je pourrais l'éloigner de moi, je devrais l'éloigner de moi mais j'en suis mystérieusement incapable, je suis comme happée par ce qui émane de lui, ce que dégage ses prunelles et cette tension qui nous englobe dans une marmite en pleine ébullition et je crois que cette marmite est sur le point d'imploser, tout comme mon coeur dans ma poitrine.
Mes yeux sont plissés et ma bouche entrouverte lorsqu'il s'éloigne de deux pas. Stupide idiote stupide ! Il vient de m'enlever de la bouche une sucette aux milles saveurs plus exquises les unes que les autres.
— Vous savez quoi ? Allez bien vous faire foutre ! dis-je en enfonçant mon index dans son torse – dur comme la roche. Il doit avoir de sacrés muscles en dessous de ce pull over. Je me rue dans ma voiture dont les fards illuminent encore le visage de ce bel enfoiré et claque la portière.
J'appuie sur la pédale d'accélérateur et laisse rugir le moteur de mon cabriolet pour enfin prendre mes jambes à mon cou. Mon coeur bat si fort. J'en ai vu des belles gueules dans son genre mais, il avait quelque chose d'hypnotisant qui m'a littéralement envoûtée comme une bécasse avec un QI de navet.
Le vent frais de l'automne fait danser mes cheveux. À cette période de l'année à Mexico, il fait bon même la nuit, les températures ne descendent pas en dessous de douze degrés. J'allume la radio et monte le son, laissant la voix de Lady Gaga transpercer la quiétude de la nuit. À défaut de repenser à ce type et ses beaux yeux, je préfère de loin me trémousser sur cette chanson Pop.
— I'm your biggest fan I'll follow you until you love me, papa...paparazzi.
Lorsque je m'engage sur le boulevard de los Verreyes, un soupir de soulagement m'échappe. Une fois proche de chez-moi, je me sens bien et à ma place. Seul problème, comment vais-je annoncer la nouvelle à Nonna ? Il serait peut-être préférable de ne rien lui dire, pour ne pas l'inquiéter. Je sais que ce n'est pas bien de mentir, mais là je n'ai pas vraiment le choix.

— Nonna, je suis rentrée !
Je balance les clefs dans la vieille coupelle en argile et me débarrasse des santiags trop hautes sur le carrelage du vestibule. Nonna traverse le rideau de perles tel un ouragan en Floride et se poste devant moi, les mains sur les hanches.
— Qu'est-ce ce que c'est que cette tenue, Gabriella ?
Elle attrape mon visage entre ses mains frêles et répète un tas de mots espagnols.
Oh, ¡Dios mío! Está bien ? Carinõ, ¡estás congelada!
— C'est ma tenue de travail, Nonna.
— Une tenue de travail ! On dirait que tu viens de te faire agresser par une bête, il ne t'est rien arrivé ?
Agressée par une bête ? Elle touche mes cheveux, soulève mes bras et palpe chaque parcelle de ma peau. Je repousse ses mains et capture ses épaules maigres et tremblantes.
— Il ne m'est rien arrivée. Je tente de la rassurer, Mario exige ce style de tenue pour ses serveuses. À croire qu'il veut que l'on se fasse agresser...
— C'est très...atrevido.
— Je sais, sûrement trop osé.
De longues cernes creusent ses yeux, elle n'a visiblement pas dormi.
— Il faut que tu te reposes, ne m'attends plus le soir. Tu risques de te surmener...
Ma voix est la plus douce qui soit. Je glisse ma main le long de son dos et l'accompagne jusqu'à sa chambre, éclairée par sa vieille lampe de chevet toute dépouillée.
— Tu n'es pas obligée de travailler dans ce bar, pour moi. Il faut que tu...
— On en a déjà parlé, je ne te laisserai pas dans l'une de ces maisons de retraite remplies de blattes et de rats ! Je crie, les poings serrés.
— Mais tu as une vie Gabriella, tu es si jeune y bella. Pourquoi est-ce que tu perds ton temps avec une vieille femme comme moi, alors que tu as toute la vie devant toi, tout un monde à découvrir.
— Je ne perds pas mon temps. Et puis, je n'ai pas envie de le découvrir ce monde, il est déjà assez cruel comme ça.
Je dépose un baiser sur son front et couvre son corps d'un plaid en maille rouge.
— Dors bien, Nonna. Je t'aime...
— Je t'aime aussi, mi tresoro.
J'éteins la lumière et quitte la chambre le coeur lourd. Qu'est-ce que je fais maintenant ? Sans boulot pour payer les factures qui s'acharnent sur nous ?
Je ferme les yeux et passe une main dans mes cheveux. Il me faut un nouveau job, n'importe quoi ! Serveuse, barmaid, strip-teaseuse, je m'en fiche mais, il me faut un boulot et au plus vite ! Je dois m'occuper de Nonna, je lui en ai fait la promesse et je dois la tenir.
J'attrape mon IPod et enfonce les écouteurs dans mes oreilles. La voix pénétrante de Lady Gaga parvient à mes oreilles pendant que je dévale les quelques marches du porche. Il fait nuit, une nuit complète sans un seul reflet lunaire, c'est angoissant.
Je pousse la vieille porte grinçante de la grange et allume l'interrupteur. Les deux lampes clignotent et finissent par éclairer le sol bétonné et recouvert de saletés.
Sous la lumière de ces deux lampes, de la poussière volette et s'écrase sur le sol.
Je referme le loquet et m'avance un peu plus loin afin de m'emparer de mon matériel que je n'ai pas touché depuis plusieurs jours déjà. Il est poussiéreux. 
J'attache ma tignasse en une queue de cheval haute et passe les doigts à l'intérieur des mitaines. Retrouver la sensation du tissu élastique me fait chaud au coeur, ça fait un moment.
Je me tourne finalement vers mon bon vieil ami, le sac de frappe vêtu de cuir des pieds à la tête et lui assène un coup direct. Il part vers l'arrière, se balance quelques secondes et revient vers moi. Mon poing droit s'abat violemment contre lui pendant que le gauche l'imite, quelques centimètres plus bas. Je libère tout, toutes les émotions négatives, toute la colère qui fuse dans mon coeur et lâche prise une bonne fois pour toute.
Je ne dois pas me laisser abattre par tous ces problèmes, pas après tant d'efforts donnés. Dans la vie, il y a ceux qui réussissent les doigts dans le nez et d'autre qui doivent se déchaîner contre tout pour avoir une chance d'y arriver. La vie à ses chouchous et si tu as le malheur de ne pas en faire partie, je te souhaite bonne chance. Voilà des années maintenant que je tente de faire face aux rudes choix de la vie, il ne faut pas que je perde pieds après tout ça. Je n'ai pas le droit.
De la sueur ruisselle le long de mon dos, je hais cette sensation et pourtant, j'ai l'impression que ce sont des ondes négatives qui s'échappent de mon corps.
— Gabriella ? apparaît une voix derrière les grandes portes en bois. C'est toi ? Merde, je ne voulais pas être dérangée.
Je retire mes écouteurs et crie :
— Oui, c'est moi. Je t'ouvre...
Matteo se tient sur le seuil, un grand sourire aux lèvres.
— J'ai vu de la lumière alors je suis venu voir. Ça fait un bail que tu n'es pas venue ici, je me trompe ?
Il entre dans la grange comme si de rien n'était. Toujours aussi curieux...Ça a beau faire des années que l'on se connaît, je ne me suis jamais habituée à son côté détective.
— Entre mon job au bar et le reste, c'était compliqué. Je réponds, le ton amer.
— Qu'est-ce-qu'il s'est passé pour que ça change aujourd'hui ? dit-il, touchant les larges poutres en bois.
— Je me suis faite virée.
Je viens de lâcher ça comme un obus en plein champs de bataille et Matteo manque de s'étouffer avec sa salive.
— Quoi ? s'écrit-il, Mario t'a virée ! Pourquoi ?
— Ça sert à rien Matteo, il m'a virée, c'est tout.
Et cette situation me met dans un bordel pas possible...
— Dis-moi ce qu'il s'est passé, je pourrais aller lui parler ?
— Non c'est inutile, de toute façon j'aurais fini par démissionner un jour ou l'autre. Être considérée comme du bétail par des tas de pervers, c'est très peu pour moi.
Ses yeux bruns me scrutent d'inquiétude.
— Je sais que lorsque tu viens frapper contre ce pauvre tas de sable, c'est que quelque chose ne va pas et en l'occurrence ici. C'est ton job...Et voilà qu'il recommence à faire son inspecteur.
— Oui et tu aurais dû savoir que lorsque je viens ici, c'est pour être seule.
Ma réponse austère le fait grimacer. Il n'aime pas que je sois comme ça et moi non plus, c'est bien pour ça que je viens me défouler contre ce tas de sable comme il l'appelle.
— Des jobs, c'est pas ce qui manque à Mexico. Ah, la bonne blague, qu'est-ce-qu'il en sait lui ?
— Oh ! Alors c'est super, j'ai encore la chance de me faire dégager une ou deux fois.
— Gab, c'est pas ce que...Il souffle et glisse sa main dans ses cheveux ébènes. Tu devrais regarder le journal de Franco, il y a beaucoup d'annonces concernant les petits boulots qui se libèrent.
— Je verrai.
Je lance et enfile mes écouteurs pour recommencer ma séance de frappes intensives. Je ne veux pas me comporter comme une garce avec lui, il m'a toujours soutenue depuis mon arrivée à Mexico. Matteo s'occupe de son père comme je m'occupe de ma grand-mère, il connaît mieux que quiconque cette situation et pourtant, il ne baisse pas les bras. Je me retiens de pousser un hurlement de colère lorsque la porte de la grange se claque.
— Fait chier !
J'arrête de frapper et me laisse tomber sur sol, mes genoux s'égratignent et laissent couler de fines gouttes de sang...Ne pleure pas, ne pleure pas, ne pleure pas ! Sois forte. Demain est un nouveau jour, un nouveau jour où tout ira bien. Sois juste forte encore un moment, pour Nonna, pour Nonno...

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Enivre-moi Où les histoires vivent. Découvrez maintenant