• Chapitre 22 •

353 24 3
                                    

Connor

Assis en tailleur face aux tatamis, j'observe d'un œil vigilant les mouvements de mes deux élèves en plein combat. Il s'agit des jeunes du quartier et aujourd'hui, ils sont singulièrement nombreux. 
— Doucement Miguel ! Grondé-je.
Ça me fait plaisir qu'ils soient présents aujourd'hui, je préfère de loin les voir ici, à s'entraîner plutôt que de les voir traîner dans la rue en train de fumer des joints. Mira, de son côté, s'occupe des filles avec vigueur et je les entends rigoler au loin. 
Toujours concentré sur le combat qui s'anime sous mes yeux, je vois Miguel asséner un coup âpre dans l'abdomen de Luis, qui tombe au sol dans une plainte douloureuse. Aussitôt, je me lève et arrête le combat mais Miguel continue d'abattre son pied contre Luis.
— Oh ! Je vous ai dit d'arrêter, Miguel recule ! Vociféré-je, m'avançant sur le tatami à grands pas.
Luis se tord de douleur sur le sol tandis que Miguel recule de deux pas, essoufflé et le visage imprégné de colère. 
Je m'accroupis près de Luis, dépose ma paume sur son épaule et fais signe à Miguel d'aller s'asseoir sur le banc.
— Luis, est-ce que ça va ?
Il grimace une seconde et relève le menton.
— Ouais, c'est rien...on peut continuer l'combat.
— Désolé bonhomme mais le combat est terminé, remballez tous vos affaires, il est l'heure ! Annoncé-je, à voix haute, de sorte à ce que tout le dojo m'entende. 
Tendant une main à Luis afin qu'il se relève, ce dernier l'agrippe et part rejoindre ses amis sur le côté. De mon côté, je m'approche de Miguel, toujours avachi sur le banc, la tête basse. Mira me lance un regard interrogateur mais je me hâte et lui fais signe que je gère la situation. La salle principale se vide et je me retrouve désormais seul avec Miguel. 
— Qu'est ce qu'il se passe ? Je demande.
— Rien, tout va bien.
— Tu peux pas me la faire à moi, Miguel. Tu sais comment ça marche ici.
— C'est mon daron, il me casse les couilles ! Rugit-il, hargneux.
— C'est pour ça que tu t'en prends à Luis ?
— Non, il a rien fait je sais mais...je suis rempli de colère en fait. J'ai envie de tout casser autour de moi, à commencer par la gueule de mon père.
— C'est une mauvaise idée, tu le sais. Même s'il le mérite, c'est toi qui vas avoir des problèmes et crois-moi, il vaut mieux pas que t'en aies.
— Alors je suis censé faire quoi ? Le laisser agir comme un fils de pute auprès de ma mère sans rien faire ?
— Je sais que je ne suis pas censé te dire ça mais...(je soupire) occupe-toi de ta mère du mieux que tu le peux et retiens bien ce que je t'ai appris pour te défendre contre plus fort que toi, okay ? 
— Okay. Lâche-t-il fermement.
— Allez, rejoins tes potes.
Il se relève et s'avance vers les vestiaires et je reste seul une seconde. Sa vie n'est pas simple à ce gamin, je me retrouve un peu en lui...
Mon téléphone vibre dans ma poche et j'y jette un rapide coup d'œil. Gaby.
(— Devine qui a un nouveau taff !;))
Je souris face à l'écran et me décide à l'appeler. Au bout de deux sonneries, elle décroche.
— T'avais tant envie d'entendre ma voix, c'est ça ?
— Complètement, je suis content que t'aies obtenu ce job.
— Je suis contente aussi, je n'ai plus besoin de rester au cabaret. Même si Gloria va me manquer...
Je glousse.
— Comment va ta grand-mère ? Elle est bien installée là où elle est ?
— Nonna ? Elle est heureuse d'après ce qu'elle me dit, cet endroit semble lui convenir.
Sa voix semble morose et je m'enquiers, inquiet :
—Tu es sûre que ça va ?
— Tu me manques...Okay, elle change de sujet.
— Tu me manques aussi, je peux passer demain si tu veux ? Je termine tôt.
— Je bosse au garage demain, ma première journée ! Tu peux passer me récupérer en fin d'après-midi et on va chez moi ?
— Ça me va...
Un groupe de garçons sort du vestiaire et je me dépêche de dire à Gabriella qu'il faut que j'y aille.
— Je dois y aller, à demain Gaby...
— À demain, cariño...
Je raccroche et saute du banc pour aller saluer mes élèves. 
— Vous avez tous bien bossé aujourd'hui, je suis fier de vous. À la semaine prochaine !
Ils me saluent à leur tour et je verrouille la porte une fois qu'ils sont sortis. Mira me rejoint, un sourire éreinté sur les lèvres et lâche :
— Ils étaient à fond aujourd'hui, j'ai eu du mal à les suivre ! Ricane-t-elle.
Je souris à mon tour et rétorque.
— Ils ont drôlement évolué depuis la première séance. 
— C'est grâce à toi, ils t'admirent beaucoup.
Je gausse et lève les bras afin de m'étirer de toute ma longueur. 
— Bon ! Tu peux y aller, je vais fermer derrière toi.
— Okay, à plus Connor.
Je lève la main en guise d'au revoir et la regarde s'éloigner avec son sac autour de son épaule. Le Dojo se fait alors complètement silencieux et je savoure ce silence quelques minutes avant d'entendre un couinement suspect. Je tourne la tête à droite, curieux et ouvre grand les oreilles. Un second couinement se fait entendre et je me décide enfin à approcher la porte extérieure, verrouillée. 
— Il y a quelqu'un ? Je demande, l'air un peu stupide.
Puis, je pousse les clefs dans la serrure et ouvre la lourde porte. Soudain, une boule de poil noire se faufile entre mes jambes et je recule de stupeur. C'est quoi ça ? Un chien ? Enfin, un chiot vu la taille ?
Il tourne autour de mes chevilles, échappant de légers chicotements. Il s'agit bel et bien d'un chiot, couvert de saleté et parsemé d'une odeur vraiment malodorante. Qu'est-ce qu'un chien fiche ici ?
— Qu'est-ce que tu fais là, p'tit gars ?
Je dépose un genou au sol et effectue une caresse sur son crâne. Il aboie un coup et lèche mes doigts comme s'il s'agissait d'une tranche de jambon bien fraîche.
— T'as l'air d'avoir faim, toi...
Je grattouille le sommet de son crâne et pars vers le mini frigo afin de lui trouver quelque chose à grignoter. Mes yeux se posent tout de suite sur une boîte de thon à moitié ouverte. Bingo, c'est ton jour de chance p'tit gars.
Je verse le contenu dans une petite coupelle en métal et il se jette dessus, affamé. Attendri, je m'assoie près de lui et caresse son poil corbeau. Il est vraiment sale, rempli de puces et de terre. Un bon bain lui ferait pas de mal, je crois...

Enivre-moi Où les histoires vivent. Découvrez maintenant