• Chapitre 4 • PC

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Gabriella

Ça n'a pas été si compliqué de me trouver deux nouveaux jobs. La journée, je bosse comme serveuse à La Perla et la nuit, je bosse dans le même établissement en tant que danseuse. Les salaires sont bons et ils ne m'ont pas réclamé de diplômes particuliers hormis une carte d'identité et une démonstration de danse, ce qui est une bonne chose. Je ne peux pas rester sans emploi trop longtemps, c'est beaucoup trop risqué, même si mes économies tiennent encore le coup. On n'est jamais à l'abri d'une crasse !
Ce qui me déplaît dans tout cela, c'est le mensonge que j'ai dû raconter à Nonna pour ne pas l'inquiéter. Je suis sûre qu'elle ferait une crise cardiaque si elle apprenait que je suis devenue danseuse dans un cabaret moderne. Je préfère qu'elle s'endorme l'esprit tranquille, croyant que j'ai un poste de secrétaire dans une banque ou dans un cabinet médical.
Mes deux collègues devenues récemment mes amies, sont excitées comme des puces ce soir, elles ne tiennent pas en place. Lucia sautille, juchée sur ses Loboutin noirs vernis et donne par maladresse, un coup de coude à Gloria, plus préoccupée par son chignon impeccable que par le brouhaha des personnes présentes dans la salle.
J'attache mes cheveux en une queue basse bien serrée et enfile par la même occasion, mes gants de velours et mon chapeau melon. Plus que quelques minutes avant d'entrer en scène et je commence à être anxieuse, ça fait à peine quelques jours que je travaille ici et je ne parviens pas à m'habituer à ce sentiment anxiogène persistant. Et, le corset beaucoup trop serré que je porte n'est pas là pour arranger les choses. Si jamais je respire trop fort, il explose ou m'explose les côtes.
— Tu as encore le trac ? demande Gloria, sûre d'elle – comme toujours.
— Oui, je n'arrive pas à m'y faire.
Elle ricane et pose une main encourageante dans mon dos.
— Ne t'en fais pas, on a déjà fait ça plusieurs fois depuis ton arrivée, me rassure-t-elle à sa manière. Tu assures et les clients t'adorent !
Ils adorent ce que je suis sur scène, ils ne voient que les courbes de mon corps et ma bouche peinte de rouge. La Perla protège les danseuses en conservant leur anonymat sur scène, grâce à des masques.
— Allez, chérie ! Remue tes fesses au rythme de la musique et ça devrait le faire.
Je serre les ficelles de mon masque dentelé et prends une inspiration que je garde quelques secondes dans mes poumons avant de la relâcher. Oh mi Díos, Si seulement cette foutue cage d'immobilisation qui me serre de corset pouvait disparaître...
Les premières notes du morceau lent et sensuel débutent lorsque nous sortons de la pénombre, les acclamations se manifestent et chacune trouve son rôle. Sur ce podium en forme de T, je suis placée sur le côté droit. La chance est avec moi ce soir, seul un groupe d'hommes dans la vingtaine d'années est présent de ce côté-ci. Ça m'évitera de croiser les regards lubriques de tous ces vieux ploucs qui viennent ici dans le dos de leur femme.
Je roule des hanches avec exagération, au rythme de la mélodie et commence à descendre lentement vers le sol. À genoux, j'effectue les mouvements appris et m'étale sur le ventre, les fesses relevées vers le ciel. Mes yeux se tournent machinalement vers le groupe d'amis à seulement un mètre du podium, ils me fixent avec de grands sourires impressionnés et amusés pour certains. Soudainement, je capte le regard opalescent d'un homme. Joder!
Un regard bleu, profond, bien trop captivant et avec quelques stries azurées qui se baladent par-ci, par-là. Qu'est-ce que ce type fiche ici ! Il ne me quitte pas des yeux, est-ce qu'il m'a reconnue ? Non, impossible. Je porte un masque et mon visage est recouvert d'artifices.
Troublée, je détourne le regard et enchaîne les mouvements avec manifestement, moins d'habileté. Mon corps ressent encore la tension écrasante qu'il y a eue entre-nous ce fameux soir. Aucun homme ne m'a déstabilisée à ce point...
Comme si nous étions tous les deux aimantés l'un par l'autre, nos yeux se retrouvent et cette fois, je suis sûre qu'il m'a reconnue. Le petit sourire qu'il peine à contenir aux coins des lèvres ne me trompe pas, il sait qui je suis, il se remémore sûrement notre échange mouvementé de ce soir-là. Il doit jubiler, la jeune femme déguisée en serveuse mexicaine et ses manières dévergondées se retrouve finalement à moitié nue sur la scène d'un cabaret. Quelle bonne blague !
La deuxième mélodie débute, c'est un tempo bien plus énergique et sexy que la précédente. Je roule sur le dos et laisse mes jambes pédaler dans les airs en lançant mon chapeau en arrière, il atterrit dans les mains d'un quarantenaire muni d'une belle bidoche, son nez en forme de patate se rehausse lorsqu'il sourit. Berk.
Mon corps se déchaîne, j'ai toujours ce petit arrière-goût de revanche sur la langue, il ne m'a pas offert ce que je voulais ce soir-là, pire, il s'est joué de moi. Eh bien, je vais lui montrer ce que ça fait de ne pas avoir en bouche ce que nous souhaitons le plus. Provocatrice, je plonge mon regard félin dans le sien et fais couler ma main le long de ma gorge jusqu'à la naissance de mon entre-jambe.
Il suit mon mouvement des yeux, une flamme brûlante au cœur de ses iris opalines et son sourire se fait plus grave. Je me remets debout, me place au bord de la plateforme et le dévisage avec effronterie. Que dis-tu de ça, muñeca ?
Je bouge des hanches, chaloupant au rythme de la mélodie et il fronce une seconde les sourcils, a-t-il du mal à se concentrer ? Cette fois, c'est moi qui jubile. Plus rien n'a d'importance autour de moi. Dans cette pièce, seul lui et moi sommes présents et je bouge pour lui, juste pour lui afin de lui rendre la monnaie de sa pièce. Aux grands maux les grands remèdes !
Les dernières notes s'éteignent et je reviens sur Terre en entendant les applaudissements du public. Gloria et Lucia lancent de baisers à la foule et s'effacent derrière le rideau. Avec un dernier regard pour lui, je lance un petit signe de la main et retourne dans les coulisses, essoufflée.
— Waw ! C'était fou, ce soir. Il y avait du monde et les musiques m'ont directement mise dans l'ambiance, pas vous ?
Je souris à Gloria qui défait son chignon et m'installe face au grand miroir éclairé de chaque côté par de petites ampoules ovales. Hop ! Un peu de démaquillant, de coton et me voilà libérée de tout ce maquillage. Je relâche mes cheveux et les secoue un peu n'importe comment pour qu'ils reprennent leur forme initiale.
Sans pudeur, je défais les lacets du corset et gémis d'euphorie. Liberacíon ! Je reprends vie, ça fait tellement de bien. C'est comme après un rhume, le nez se débouche et la sensation de pouvoir respirer à nouveau est merveilleuse.
Je décroche les portes-jarretelles ainsi que les bas en faisant attention à ne pas les filer et enfile mon short en jean déchiré. Je passe ensuite les bras dans le vieux sweat-shirt de Nonno et saute dans mes boots qui ont visiblement bien vécues ces dernières années. Lucia débarque, encore vêtue de son corset et me dévisage d'un air stupéfait.
— Tu pars déjà ?
— Oui, j'ai des choses à faire, mens-je, me voyant déjà affalée dans mon lit pour rattraper les heures de sommeil que j'ai perdues ces derniers jours.
— Oh, c'est nul...on allait prendre un verre au bar avec Gloria...
— Une prochaine fois, peut-être. Lorsque j'aurais assez de force pour lever un verre de whisky.
Lucia dépose un baiser sur ma joue et file se réinstaller devant son grand miroir. Gloria me lance un sourire et un signe de la main avant de se libérer de ses escarpins aussi pointus que des couteaux de boucher. Je hisse mon sac sur mon épaule, me planque sous ma capuche et sors discrètement des coulisses, me glissant à travers les tables pour prendre la porte. Personne ne s'imagine que la gonzesse qui se dandinait sur la scène avec les fesses à l'air est la même personne qui rase les murs dans un vieux hoodie noir, ou bien celle qui serre des bières au levé du jour !
Arrivée sur le trottoir, je sors les clefs de ma voiture lorsqu'une silhouette, camouflée derrière l'ombre d'un poteau bétonné se redresse et avance droit vers moi, d'une démarche assurée, un brin arrogante. Je serre mes clefs avec force au cas où il s'agirait d'un sale type aux intentions malveillantes et observe ses mouvements les uns après les autres.
— Salut, poupée.
— Joder di mierda...murmuré-je, reconnaissant parfaitement la voix qui m'interpelle.
Putain, comment a-t-il fait pour me reconnaître ? Et surtout pourquoi il m'attend à la sortie comme ça !
— Qu'est-ce que vous foutez là ? l'attaqué-je, les poings sur les hanches.
— Je prends du bon temps, ça ne se voit pas ?
— Je n'ai pas de temps à perdre avec vous. rétorqué-je, pivotant vers ma voiture. Néanmoins il poursuit, me poussant à arrêter mon mouvement.
— Pourtant vous n'aviez pas l'air de le perdre tout à l'heure, sur la scène.
J'aurais préféré oublier ce passage.
— C'est mon job, qu'est-ce que vous imaginez ?
— J'imagine que je vous plaît suffisamment pour que vous cherchiez à vous venger de ce qu'il s'est passé la dernière fois.
Je le hais ! Je hais son arrogance et sa putain de perspicacité ! Son regard, plus sombre que d'habitude me happe comme la mort un soir d'Halloween et mon sang bouillonne dans mes veines. Cependant, je ne sais pas s'il s'agit du désir ou de la colère.
— Il ne s'est rien passé la dernière fois.
— Justement...dit-il, faisant deux grands pas en ma direction. Vous vouliez plus, n'est-ce pas.
Pourquoi faut-il qu'il soit aussi grand ? C'en est dotant plus agaçant.
— Même pas en rêve, vous êtes détestable.
— Ah oui ? Mais ça vous attise, non ?
— Non mais j'y crois pas, arrêtez avec votre putain d'arrogance !
— Ma putain d'arrogance ? Sourit-il, se penchant un peu plus vers moi.
L'odeur de son parfum me saisit de la même façon que la fois dernière et je me perds dans son regard. Il dégage quelque chose de puissant, de dangereux et je crains de ne pas tenir longtemps s'il continue à s'approcher comme ça. Mon petit démon me conseille de l'embrasser comme une folle, de lui mordre les lèvres pour lui faire payer ses mots mais mon petit ange s'efforce de faire taire ce démon, optant pour l'option « dégagez de là et fichez-moi la paix ».
— Vous avez ressenti exactement la même chose que moi, ne faites pas semblant.
Son souffle chaud caresse ma joue et je frissonne.
— Et qu'est-ce que vous avez ressenti ? sifflé-je, proche de la limite.
Il s'approche encore un peu plus, droit sur mon oreille cette fois et susurre d'une voix rauque :
— De l'excitation, de l'envie et du désir comme jamais.
Ma respiration se coupe et je souffle pour moi-même :
— Mierda...

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Enivre-moi Où les histoires vivent. Découvrez maintenant