A la grande surprise de Virginia, Rose Sauvage ne manifesta pas la moindre émotion.
- Je veux parler au capitaine Tonnerre, dit-elle simplement.
- Le capitaine est mort, répondit un tout jeune pirate, âgé d'une vingtaine d'années tout au plus. Je m'appelle James et c'est moi le nouveau capitaine.
- Très bien, petit James. Puisque tu es nouveau, je dois tout t'expliquer. Je suis la fille du chef Ours Grincheux et si l'un de vous lève la main sur moi, il viendra vous tuer.
- Et elle? demanda-t-il en avisant Virginia.
- Elle, c'est Dame Virginia, la guerrière la plus redoutable de Londres. Tu ferais mieux de ne pas t'approcher d'elle.
- Une guerrière de Londres? demanda-t-il d'un ton dédaigneux. Voyons ça...
Rose tendit son épée à Virginia, qui serra les dents. Elle avait déjà regardé les garçons se bagarrer, évidemment, mais elle n'avait jamais participé à un vrai combat. La gorge nouée, elle lança:
- Je ne m'abaisse pas à frayer avec les pirates!
- Alors on ne te fera aucun mal! s'écria le capitaine. Les gars! Capturez-la sans la blesser!
L'instant d'après, Virginia sentit qu'on l'empoignait par les deux bras. Elle hurla et se débattit, en vain. Ligotée, bâillonnée, elle finit par atterrir sur les planches d'un navire.
Ensuite, à sa grande surprise, James lui retira ses liens et l'escorta jusque dans une petite pièce richement meublée. Il désigna un siège et elle s'assit, trop stupéfaite pour protester.
- Très chère Virginia! s'écria-t-il. Voulez-vous une tasse de thé?
- Non!
- Très bien. Monsieur Mouche va quand même vous servir du thé au jasmin, au cas où vous changeriez d'avis. Je prendrai un whisky.
Stupéfaite, Virginia regarda un petit bonhomme lui servir une tasse fumante. Le capitaine attrapa son verre, en sirota une gorgée, puis le reposa délicatement. Virginia n'en croyait pas ses yeux. Peter lui avait toujours décrit les pirates et tous les adultes comme des brutes sanguinaires. Ce James semblait sortir du lot.
- Virginia, dit-il enfin, je n'ai rien contre vous. Absolument rien.
- Vous m'avez kidnappée!
- Certes, mais je ne vous ferai aucun mal. C'est Peter Pan que je souhaite attirer ici. Quand il saura où vous êtes, il viendra vous sauver et je réglerai un vieux compte avec lui. Ensuite, vous pourrez décider de là où vous voudrez aller.
- Un compte ? répéta-t-elle.
- C'est lui qui a tué le capitaine précédent en le précipitant dans la gueule du crocodile.
- Non! s'écria Virginia. Peter ne ferait jamais ça!
- C'est pourtant la triste vérité. Vous ne buvez pas votre thé? Il va refroidir.
Virginia prit une gorgée de thé, perplexe. C'était du très bon thé mais il lui semblait amer.
- Et Rose Sauvage? demanda-t-elle.
- Elle est toujours dans la prairie. Saine et sauve. Voulez-vous une collation?
- Une quoi?!
Mouche déposa une assiette de petits gâteaux devant Virginia, qui réalisa une chose troublante: c'était la première fois qu'elle allait manger quelque chose qu'elle n'avait pas préparé elle-même. Même quand on fêtait son anniversaire, c'est-à-dire quand Peter Pan l'avait décidé, c'était toujours elle qui cuisinait.
James lui parla longuement, puis finit par sortir et revint avec une longue robe blanche.
- Tenez, dit-il. Voulez-vous l'essayer? Elle sera sûrement plus confortable que votre tenue, et plus jolie aussi.
Virginia acquiesça. En effet, sa tenue était faite de peaux de bêtes et c'était elle qui l'avait cousue. Avec le temps, elle était devenue dure et rêche. Le capitaine sortit et elle se cacha derrière un paravent pour se changer, puis se regarda longuement dans une glace, médusée. Elle était méconnaissable.
Une petite lumière apparut dans son angle de vision. C'était une petite fée bleue qui se posa sur le bord du miroir et la regarda, comme si elle attendait quelque chose. Virginia supposa qu'elle avait faim et lui tendit un biscuit. La fée émit un tintement et Virginia, qui comprenait bien leur langage, savait ce que cela voulait dire: "merci."
- Ce n'est rien, répondit-elle.
- Si, tinta la petite fée. Les pirates n'aiment pas que je voyage avec eux, alors je me cache.
- Pourquoi? s'enquit Virginia. Je suis sûre que si tu demandais gentiment au capitaine, il te laisserait aller là où tu veux.
- Tu ne le connais pas. James ressemble à un adulte respectueux mais en fait, il est aussi immature et cruel que Peter Pan. Tu devrais partir d'ici.
- Mais... je n'ai nulle part où aller.
- Chevauche le vent, comme moi. Tu as des ailes, simplement tu ne les as pas encore trouvées.
Des ailes?!! Virginia se mit dos au miroir, espérant voir des ailes dans son dos. Évidemment, il n'y en avait pas. Qu'est-ce que cette petite créature pouvait bien vouloir dire?
- Tu as un nom ? s'enquit-elle.
- Cresca. Et toi ?
Soudain, des cris retentirent sur le pont.
VOUS LISEZ
Une maison pour les fées
FanfictionEt si Wendy Darling n'était pas la première petite fille que Peter Pan ait connue?