Le lagon

199 9 2
                                    

Attention, ce chapitre contient du gaslighting.

*

Rose Sauvage revint chercher Virginia le lendemain, puis tous les jours suivant. Elle lui apprit à grimper aux arbres, à apprivoiser les oiseaux, à allumer du feu et à tirer à l'arc. Virginia se sentait de plus en plus libre et heureuse, à tel point qu'elle en venait à considérer cette liberté toute naturelle. Peter s'inclinait devant elle, l'appelait "ma chère maman" et lui offrait des cadeaux, c'était vrai, mais il ne lui avait jamais donné cette merveilleuse impression de force et de liberté.

Rose Sauvage, elle, avait commencé par s'intéresser à "la maman de Peter" par pitié. Elle trouvait désastreux et catastrophique qu'une fille de son âge ne sache pas faire des choses indispensables comme grimper à un arbre. Les filles étaient faites pour devenir des guerrières, pas des bonniches! Il fallait qu'elle fasse quelque chose pour la sauver. Et il se trouvait que Virginia était une élève docile et agréable, qui faisait tout pour contenter son "enseignante".

Les seuls mécontents étaient les garçons perdus. Même si Virginia ne leur parlait pas de ses escapades diurnes, ils pressentaient bien que quelque chose était en train de se tramer. « Maman » ne faisait plus le ménage ni la vaisselle et c'était eux qui étaient obligés de s'y coller. A part Plume, le plus petit, qui aimait trop Virginia pour ne pas faire avec enthousiasme tout ce qu'elle lui suggérait, aucun d'eux n'aimait cela.

Et puis, ce qui devait arriver arriva. Rose Sauvage emmena Virginia sur le lagon pour lui apprendre à se servir d'un filet de pêche. Sur place, Virginia commença par s'émerveiller de tout ce qui l'entourait. Le ciel, les mouettes, l'étendue d'eau où nageaient les sirènes, comme c'était beau!

C'est alors que les garçons perdus arrivèrent, Peter en tête. Celui-ci ouvrit des yeux ronds en voyant Virginia en compagnie de la princesse indienne.

- Qu'est-ce que tu fais là?!! s'écria-t-il.

- La dame Virginia est ma compagne de pêche, répondit fièrement Rose Sauvage. Vous siérait-il de nous accompagner?

Peter fit un effort surhumain pour ne pas cacher sa colère. La partie de pêche à peine terminée, il annonça que "sa maman" était de santé fragile et qu'elle devait rentrer à la maison au plus tôt. Il l'escorta jusqu'à la maison, où il annonça en prenant des airs de grand seigneur que les garçons allaient préparer le dîner tandis que lui et Virginia prendraient le frais dehors. Certains des garçons marmonnèrent dans leur absence de barbe mais aucun d'eux n'osa contrarier Peter Pan. Ils se souvenaient de ce qui s'était passé le mois précédent, quand TomTom s'était vanté d'avoir grandi de deux centimètres. On n'avait plus jamais vu TomTom et Peter faisait comme s'il n'avait jamais existé.

Dehors, le soleil se couchait et les fées jouaient dans les rayons de soleil. Peter prit la main de Virginia et la regarda avec tristesse.

- Je suis si soulagé, dit-il. Il ne t'es rien arrivé!

- Bien sûr qu'il ne m'est rien arrivé! s'écria Virginia. Rose Sauvage était là pour veiller sur moi!

- Non. Elle a fait semblant d'être ton amie mais tout ce qu'elle voulait, c'était t'emmener au campement indien pour que tu fasses toutes les choses désagréables pour elle. Tu n'as pas vu la méchanceté dans son regard?

- Elle n'avait pas l'air méchante, protesta Virginia.

- Maman, tu ne sais pas ce que tu racontes. Si je sors et si je prends tous ces risques tous les jours, c'est uniquement pour te protéger. Tu ne veux pas me faire de chagrin, si?

Virginia acquiesça en baissant la tête, toute honteuse. Évidemment, elle ne voulait pas lui faire de chagrin. Elle l'aimait tellement!

- Alors promets-moi de ne plus jamais partir avec elle. Tout le monde a besoin que tu restes à la maison.

Virginia acquiesça et le suivit dans la maison souterraine. Tard dans la nuit, elle éclata en sanglots. Elle aurait bien aimé que quelqu'un la console mais personne ne sécha ses larmes cette nuit-là.

Une maison pour les féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant