Bisou-bisou

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Attention, mention de rapports sexuels (rien de graphique)

*

Vanessa se maria un an plus tard. Ce fut une très belle fête, on dansa et on rit beaucoup. Au moment du lancer de bouquet, Virginia prit soin de se tenir en retrait pour être certaine de ne pas l'attraper. Elle aimait trop sa liberté pour vouloir s'occuper d'un homme, quel qu'il soit. Pour une fois, son père ne lui en tint pas rigueur. La fête était trop belle pour se fâcher.

Cependant, elle le croisa à nouveau deux mois plus tard, alors qu'elle sortait de l'hôpital après une longue journée.

- Il faut que tu viennes à la maison ! s'écria-t-il sans ambages.

- Père, malgré tout le respect que je vous dois, je ne reviendrai pas habiter chez vous.

- Je ne te demande pas de revenir. J'ai... on a un gros problème avec Louise.

- Tante Louise ? Celle qui habite à Birmingham ?

- Non. Louise Potter, notre nouvelle bonne. Elle est... dans une situation gênante.

Une situation gênante. Ces mots ne pouvaient vouloir dire qu'une chose et Virginia le savait.

- Enceinte ?!

- Parle moins fort, s'il te plaît. On aurait besoin que tu fasses quelque chose.

- Il faudrait qu'elle consulte un médecin, suggéra Virginia.

- Pour le moment, on n'a pas envie que ça s'ébruite, tu comprends ? Tu es la seule personne de notre entourage qui possède des connaissances médicales et en qui on peut avoir confiance.

- Vous voyez, père ? Vous avez eu raison de me payer des études.

William fit la grimace. Virginia le suivit jusque dans la maison familiale, dans l'une des petites chambres où logeaient les domestiques. Louise se tenait recroquevillée sur son lit, le visage incroyablement inexpressif. Elle sursauta en la voyant.

- Miss Virginia ?

- C'est moi. Père, j'aimerais être seule avec elle.

Lord Woolshire quitta la pièce et Virginia s'assit sur une chaise. Tout cela allait être difficile car Louise n'avait que vingt ans et qu'on vivait encore à une époque où les mères célibataires étaient mal vues. Tout allait dépendre de ce que voudrait faire la domestique. Se marier pour légitimer l'enfant ? L'élever seule ? Ou aller voir une faiseuse d'anges ?

- Louise, je suis là pour vous aider. J'ai juste besoin de savoir ce qui s'est passé.

- J'ai un polichinelle dans l'tiroir, voilà, balbutia la bonne.

- D'accord. Est-ce qu'on... Est-ce que quelqu'un vous a agressée ?

- Non, répondit Louise en versant une larme. J'suis une mauvaise fille, voilà. J'ai fait bisou-bisou avec un livreur.

- Je ne pense pas que vous soyez une mauvaise fille, protesta Virginia. Enfin, êtes-vous certaine d'être enceinte ?

- C'est ce qui se passe quand on fait des trucs, non ?

Des trucs. Bisou-bisou. Après avoir fréquenté une école de médecine où les enseignants utilisaient toujours le terme médical précis pour désigner quelque chose, Virginia trouvait insolite d'appeler un rapport sexuel un « bisou-bisou ».

- A quand remontent vos dernières règles ? s'enquit-elle.

- Mes quoi ?

- La dernière fois que vous avez saigné dans votre culotte, c'était quand ?

- Mais j'sais plus, moi ! s'écria la bonne.

- La date de votre rapport sexuel, alors.

- Mon quoi ?

- Vous avez fait bisou-bisou quand ? demanda Virginia avec lassitude.

- Quand Miss Vanessa s'est mariée. Vous allez pas m'faire renvoyer, si ?

Cela remontait à deux mois. Virginia prit une décision.

- Non, Louise. Je vais dire à mon père de ne surtout pas vous renvoyer mais avant de décider de ce qu'on va faire, il vaut mieux en savoir le plus possible sur cette grossesse. Je connais une femme médecin. Elle va venir vous faire un examen gynécologique, ensuite on avisera.

- Elle va quoi ?

- Elle va regarder dans votre culotte pour avoir une idée de ce qui se passe.

- Ah non, Miss Virginia ! s'écria Louise. Personne regardera jamais dans ma culotte, ça non !

Virginia soupira encore.

- Louise, c'est juste un acte médical, elle ne va pas vous faire de mal. D'ailleurs, la personne qui vous a mise enceinte a déjà baissé votre culotte, non ?

- NON ! J'suis pas une salope ! Il a pas baissé ma culotte, on a juste fait bisou-bisou !

Virginia resta stupéfaite.

- Louise... est-ce qu'on vous a déjà expliqué comment on fait les bébés ? demanda-t-elle lentement.

- Ben ouais ! On s'embrasse sur la bouche et on met la langue !

Virginia se prit la tête entre les mains. Jamais elle ne s'était trouvée dans une situation aussi ridicule.

- Non. Ce n'est pas comme ça. J'ai une bonne nouvelle pour vous : vous n'êtes pas enceinte ! La mauvaise, c'est que votre éducation est à refaire.

Virginia demanda du papier, un crayon et donna un cours d'éducation sexuelle complet à la jeune bonne en faisant des dessins pour qu'elle comprenne mieux. À la fin du cours, celle-ci était devenue rouge tomate.

- Mais, Miss Virginia... C'est dégouttant !

- Rien ne vous oblige à le faire si vous trouvez ça dégouttant. En fait, personne n'a le droit de vous obliger à le faire, même en étant mariée. Bonne nuit, Louise.

Virginia sortit, annonça la bonne nouvelle à ses parents et rentra dans son petit logement. Une partie d'elle se réjouissait d'avoir enfin prouvé à son père que ses études servaient à quelque chose. Une autre se sentait encore insatisfaite. La vie était injuste. Si toutes les filles étaient instruites correctement, elle n'aurait pas eu à expliquer à une fille de vingt ans comment on fait les bébés.

Tard dans la nuit, la jeune infirmière décida de retourner à l'école de médecine. Elle voulait changer les choses et créer un monde plus juste pour toutes les filles. Cela prendrait du temps mais on avancerait.

En fermant les volets, Virginia crut apercevoir une petite fée bleue qui lui clignait de l'œil.

Une maison pour les féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant