Joyeux anniversaire, Virginia

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Quelques nuits plus tard, Virginia fit un très beau rêve. Elle se trouvait à nouveau à Jamais-Jamais, dans la vallée des lis tigrés. Près d'elle, une Indienne de son âge tenait un bébé dans ses bras et en s'approchant, Virginia reconnut Rose Sauvage.

- Tu vois, dit Rose, je lui ai donné le prénom de ta fleur préférée. Elle deviendra une belle guerrière, comme toi et moi.

- Rose, je n'ai jamais été une guerrière.

- Je peux faire de toi une guerrière. Viens me rejoindre.

- Comment ? Je n'ai plus de poussière de fée.

- Viens me rejoindre.

Virginia se réveilla, sereine. Le monde imaginaire lui avait envoyé un signal. Bientôt, elle serait loin d'ici.

La fameuse réception eut lieu quelques jours plus tard. Lady Woolshire avait invité les oncles, les tantes, les cousines et cousins et de nombreuses connaissances pour l'occasion. Vêtue de sa jolie robe rose bonbon, Virginia se comportait en parfaite jeune fille anglaise. Elle s'extasia sur chaque cadeau qu'on lui offrait : des livres de poésie, du parfum, des fleurs. Cependant, elle attendait avec impatience son livre de médecine.

On allait se mettre à danser quand Edward se plaça devant elle et s'écria à la cantonade :

- J'ai une demande importante à faire à la si précieuse Virginia Woolshire ! Virginia, je serai le plus heureux des hommes si vous me faisiez l'honneur de devenir votre époux.

En prononçant ces mots, il mit un genou à terre et lui tendit une bague. Virginia resta pétrifiée. Il plaisantait, ce n'était pas possible autrement ! Elle chercha Vanessa des yeux et vit qu'elle était aussi stupéfaite qu'elle. En revanche, William et Jane affichaient un petit sourire satisfait.

Sans un mot, Virginia fit demi-tour et quitta la pièce. Elle descendit le couloir, traversa le jardin et serait sortie dans la rue si son père ne l'avait pas rattrapée à temps.

- Où crois-tu aller comme ça ?

- Ailleurs ! Je ne sais pas ! Oh, père, c'est une plaisanterie ?

- Ce n'est pas une plaisanterie. C'est normal que tu sois surprise mais tout le monde sera contrarié si tu t'en vas comme ça. Tu vas revenir et accepter sa proposition.

Virginia suivit son père, toujours choquée. Vanessa se précipita à leur rencontre, affolée, vêtue de sa robe orangée comme les lis tigrés. Soudain, Virginia repensa à Rose Sauvage et eut un sursaut de fierté. Rose n'aurait jamais accepté une proposition pareille !

Elle retourna dans la grande salle et tout le monde se tourna vers elle tandis qu'Edward se précipitait à sa rencontre.

- Très chère Virginia ! s'écria-t-il. Mon intention n'était pas de vous choquer.

- Très cher Edward, puis-je vous parler en privé ?

- Pourquoi tant de hâte ? Nous aurons toute l'intimité que nous voudrons une fois que nous serons mariés.

- Je ne veux pas me marier avec vous.

Il y eut un sursaut général dans l'assistance et une grand-mère laissa échapper sa coupe de champagne. Jane et William échangeaient des regards outrés tandis que Vanessa, qui n'avait jamais apprécié Edward, souriait de toutes ses dents. À la fois soulagée et effrayée de sa propre audace, Virginia continua :

- Vous êtes un vrai gentleman et une personne fort remarquable mais je ne pense pas que nous ayons un avenir en tant que couple. Cette bague sera beaucoup plus jolie au doigt de quelqu'un qui saura vous aimer.

- Donc, vous voulez remettre la noce à plus tard, balbutia-t-il.

- Non. Je pense que ni vous, ni moi ne serions heureux après la noce.

Pâle comme un linge, Edward cherchait en vain à se donner une contenance. Catastrophée, Jane décida de détourner l'attention :

- Vanessa, tu veux bien aller chercher ta harpe, s'il te plaît ? Notre chère Vanessa a préparé un morceau exprès pour l'occasion. Elle est si douée !

Vanessa s'exécuta et tout le monde s'extasia sur son talent de musicienne. Le reste de la fête se déroula dans une atmosphère de gêne. Quand le dernier invité fut parti, Jane entraîna Virginia dans un coin et explosa :

- Je peux savoir à quoi tu joues ?!!

- Mère...

- On ne refuse pas une demande en mariage devant des dizaines de gens ! Tu lui as infligé la honte de sa vie !

- Non ! répondit Virginia d'une voix tremblante. C'est lui, qui m'a infligé la honte de ma vie. S'il ne voulait pas que je refuse devant tous ces gens, il n'avait qu'à me faire sa demande en privé !

- C'est moi qui lui ai dit de faire sa demande en public. Je voulais être sûre que tu acceptes. Comment as-tu pu me faire ça ?!!

- Et toi, comment as-tu pu me faire ça ? cria presque Virginia. M'imposer une demande en mariage à mon propre anniversaire ?!

- Parce que je veux le meilleur pour toi !! Je ne veux pas que tu épouses un homme de petite naissance comme Samuel Brown ! J'ai tout arrangé pour que tu aies le meilleur, et voilà que tu gâches tout !

- Je ne me marierai pas, mère. Ni avec Samuel, ni avec qui que ce soit. Je veux devenir médecin !

Jane resta la bouche ouverte, puis éclata d'un rire nerveux. Virginia, qui craignait qu'elle fasse une crise de nerfs, s'échappa dans le jardin pour attendre qu'elle se calme. Jane la rattrapa.

- Médecin ? Tu as complètement perdu la tête ?

- Vous m'en croyez incapable ?

- Non, c'est ça qui m'inquiète ! assena Jane. Aucun homme ne voudra jamais épouser une femme médecin !

- Pourquoi ?

- Pourquoi ? Pourquoi ?!! Comment peux-tu me poser une question pareille ? Ils veulent tous une épouse humble, modeste, avec qui ils ne se sentiront jamais intimidés, qui ne leur donnera jamais l'impression d'être moins intelligents qu'elle et...

J'ai compris, mère. Les hommes sont tellement fragiles qu'ils veulent à tout prix épouser une ignorante sans ambition pour se sentir supérieurs à elle. Ça ne donne pas envie de se marier.

- Mère, être médecin, c'est mon rêve.

- Les garçons ont le droit d'avoir ce genre de rêve. Pas les filles.

Ces mots firent comme un coup de poignard à Virginia. Même maintenant qu'elle était adulte, on la traitait comme un être inférieur ! Choquée, elle ne trouva rien à répondre et regarda sa mère s'éloignait d'elle. Elle était seule dans le jardin et le clair de lune éclairait les arbres. Ici et là reposaient encore les maisons de fées que Vanessa et elle avaient fabriquées des années plus tôt et que les jardiniers n'avaient jamais jetées.

Soudain Virginia sentit la colère l'envahir. Pourquoi croire encore aux fées ? Elle avait cru en ses rêves et espéré une vie meilleure et tout ce qui l'attendait, c'était un mariage raté avec un homme qui ne la respecterait jamais ! En rage, elle s'empara d'une bêche et l'abattit sur les maisonnettes, frappant encore et encore jusqu'à ce qu'il ne reste que des éclats de bois.

Ensuite, elle se précipita dans la maison, en larmes.

Une maison pour les féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant