Une chambre à soi

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L'instant d'après, Virginia se retrouva dans le fiacre, où sa mère et sa sœur se trouvaient déjà. Jane avait les yeux rouges d'avoir pleuré et Vanessa se faisait toute petite sur son siège.

- Je suis désolée, balbutia celle-ci. Ils... Ils ont trouvé la lettre...

La fameuse lettre où elle expliquait qu'elle quittait sa famille définitivement. Vanessa ne devait la leur donner que le lendemain. Virginia avait peur mais en même temps, elle n'avait plus envie de laisser qui que ce soit décider de sa vie à sa place.

- Bon, énonça-t-elle. D'abord, laissez Vanessa tranquille. Ce départ, c'était mon idée.

- Tu as une idée de ce que tu nous fais ?!! rugit William. Une Woolshire, laveuse de vaisselle ? Tu as pensé à notre réputation ?!

- Vous n'avez qu'à m'envoyer loin d'ici, si c'est votre réputation qui vous préoccupe !

- Et Vanessa ? intervint Jane. Ta sœur ne trouvera jamais un parti convenable si tu t'abaisses à des extrémités pareilles !

C'était vrai et Virginia, qui aimait beaucoup sa petite sœur, sentit son cœur saigner. Fallait-il que Vanessa renonce à son rêve de faire un beau mariage pour qu'elle puisse réaliser le sien ?

- Mère, intervint Vanessa, Virginia veut devenir médecin. C'est une profession plus que respectable. Cela ne m'empêchera jamais d'épouser un beau parti !

- Pas question ! cria le père. Les études de médecine coûtent très cher ! Je refuse de payer pour une lubie qu'elle abandonnera dans un mois ou deux !

- Ce n'est pas une lubie, protesta faiblement Virginia.

- Je sais mieux que toi ce qui est bon pour toi !

Jane se mit à pleurer et Vanessa la prit dans ses bras. Virginia resta les bras ballants, stupéfaite. Elle n'avait jamais voulu que cela se passe comme ça.

- Virginia, murmura enfin Vanessa, je vais peut-être dire une bêtise mais... Et si tu devenais infirmière ?

Virginia trouvait que c'était une bonne idée. Les études d'infirmière coûtaient moins cher et cette formation lui permettrait de devenir indépendante. En outre, même si ce n'était pas le métier de ses rêves, il s'agissait d'une profession assez respectable pour ne pas entacher la réputation de sa famille. Elle pourrait toujours se payer ses propres études de médecine plus tard.

- D'accord pour lui payer des études d'infirmière, concéda le père de mauvaise grâce. Ça lui fera une distraction en attendant de lui trouver un mari.

*

C'est ainsi que Virginia devint l'une des meilleures élèves de son école. Ses nouvelles études la passionnaient et elle avait enfin un but précis dans sa vie. Évidemment, Jane lui demandait de temps en temps s'il y avait de beaux partis dans son école et si elle allait enfin épouser un médecin mais cela lui pesait moins.

Elle décrocha son diplôme le jour où Vanessa annonça ses fiançailles avec un fils de sénateur fort respectable (d'après Jane et William) et fort sympathique (d'après Virginia). À la grande surprise de Virginia, sa petite sœur s'arrangea pour se trouver seule avec elle et lui présenta des excuses.

- Pourquoi ? Tu n'as rien fait de mal, voyons Nessa.

- Je sais, expliqua Vanessa, mais dans la plupart des familles, c'est l'aînée qui se marie en premier. Tu ne trouves pas ça bizarre ?

- Non, voyons ! Moi, je n'ai pas envie de marier.

- Et être ma demoiselle d'honneur, tu accepterais ?

- Avec joie ! répondit Virginia en éclatant de rire.

Peu après, Virginia ouvrit un compte à la banque et déménagea pour s'installer dans un petit appartement non loin de son lieu de travail. Elle n'avait qu'une chambre, une salle de bains et une pièce qui servait à la fois de cuisine, de salle à manger et de salon mais elle était ravie car elle n'aurait à le partager avec personne. Vanessa l'aida à tout aménager, accrochant les rideaux, étalant les tapis par terre et le couvre-lit sur le lit. Quand elle fut partie, Virginia se sentait si heureuse qu'elle exécuta une petite danse sauvage à la manière de Jamais-Jamais.

Ensuite, elle se fit une bonne tasse de thé et la dégusta à petites gorgées. Le soleil entrait à flots par la fenêtre et elle envisageait déjà d'installer une maison de fées sur le balcon. Jane n'aimerait pas ça mais après tout, ce n'était pas à elle de décider de ce qui se passait ici.

Elle se sentait merveilleusement bien. C'était tellement bon d'avoir enfin une chambre à soi !

Une maison pour les féesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant