Promesse sur la plage

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Olivia

— Parfois... J'ai peur de l'oublier. Je repousse tellement mes souvenirs, car on a beau se répéter que c'est mieux de se rappeler des bons moments, on en revient toujours au même point : la fin. Chaque fois que je m'autorise à repenser à nos instants de bonheur, les soirées films d'horreur qu'elle nous autorisait quand papa partait en voyage, les jeux de cour qu'elle n'hésitait pas à partager avec nous, je ne me sens pas mieux, c'est faux. Je vais encore plus mal car je sais qu'on ne le refera pas, que rien ne sera plus jamais comme avant et qu'elle est partie... Pour de bon. Penser aux moments heureux passés avec l'être cher qu'on a perdu n'aide en rien. Au contraire, ça détruit davantage. Pour moi, ça ne sait faire que ça, me détruire. C'est pourquoi... Je préfère tout remballer dans un sac, bons comme mauvais, et balancer la totalité hors de ma tête. Enfin, c'est ce que j'essaye de faire. Ce serait mieux de vivre sans. Ah, si seulement on pouvait nous-mêmes choisir ce qu'on veut garder en mémoire, je n'hésiterais pas.

Mes yeux fixaient mes pieds nus avançant un par un dans le sable fin de la plage. Les deux mains dans la mono-poche de mon énorme pull en cotton, j'évitais de lever la tête, de peur de craquer et finir par passer pour une pleurnicharde.

— Tu en es sûre ? Serais-tu vraiment prête à supprimer toute trace de ta mère dans ton esprit, simplement pour ne pas avoir à supporter le poids de son absence ?

Je hochai la tête sans hésitation.

— Je ne suis pas d'accord avec toi, reprit Yoahn. Moi je suis de ceux qui pensent qu'il vaut mieux avoir des souvenirs de la personne, qu'ils soient beaux ou pas, plutôt que rien.

Je levai la tête et le regardai en réclamant une explication.

— Tu sais, moi j'ai grandi sans mon père. Je ne l'ai jamais connu. Et je ne vais pas mentir en disant que la peine que cela m'inflige depuis ma plus tendre enfance surpasse celle que j'éprouve aujourd'hui à cause du départ de ma mère, non. Ce serait la plus grosse bêtise que je n'aie jamais dite, et crois moi, j'en ai dit, des conneries.

— bizarrement pour ça, je te crois sur parole, plaisantai-je.

Yoahn laissa échapper un mini rire avant de revenir à ses mots.

— Mais au fond, je préfèrerais toujours me rappeler d'une personne que j'ai aimée, puis perdue. Pour être tout à fait honnête, je préfère encore être conscient d'avoir perdu ma mère, et me rassurer en me disant qu'elle est au moins encore là, quelque part, au fond de mon cœur, plutôt que d'oublier. En gros ce serait oublier qu'on ait pu être un jour aimé par cette personne, et crois-moi, tu ne souhaiterais pas oublier l'amour de ta maman. Aujourd'hui tu es justement bien placée pour savoir qu'il n'y a rien de plus fort.

Le bruit des vagues remplaça le silence pendant le blanc qui a suivi le discours de mon amoureux. Et après quelques secondes de réflexion durant lesquelles j'ai cherché ce que je pouvais bien ajouter, je me décidai enfin à briser la glace.

— Eh ben dis-donc, je ne savais pas que tu pouvais être aussi profond, des fois.

Il roula des yeux sur un sourire amusé, puis prit ma main dans la sienne.

— Hey, Pinky... Et si moi je m'en vais, tu penseras qu'il vaudrait mieux m'oublier ?

Je le fixai tendrement, prennant le temps de contempler une énième fois chaque détail de la parfaite structure de son visage.

— Si tu t'en vas... Rien. Parce que tu ne t'en iras pas.

Je réussis à lui arracher un nouveau sourire.

— Yoahn, je suis sérieuse. Nulle part.

Il me tira vers lui et enroula ses bras autour de moi avant de déposer un bisou sur mon front - J'adore quand il fait ça.

— Je suis là. Je n'irai nulle part, déclara-t-il.

— promis ?

— promis.

Une sensation de victoire s'empara de mon être tout entier. J'avais déjà du mal à croire que Yoahn et moi sortions finalement et véritablement ensemble, mais encore, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi parfait.
Ouais, je l'aime, il m'aime, tout va bien dans le meilleur des mondes : notre monde.

— J'ai lu quelque part que la mer est la meilleure des psychologues. On peut tout lui confier, elle emporte tout avec elle et nous apporte en retour soulagement et paisibilité. C'est pour ça que j'ai voulu t'y emmener aujourd'hui. Tu te sens mieux ?

— mhmm.

Il voulut mettre un terme à notre câlin mais je m'agrippai plus fort à lui.

— Hun hun, attends encore un peu, j'ai froid, boudai-je.

Yoahn ne broncha pas et resserra son étreinte.

Ce n'était vraiment pas comme ça que je m'étais imaginé ce jour de l'an. Lui qui s'était ouvert par des torrents de larmes comme chaque année parce que c'est le jour de la mort de ma mère, a eu droit à une fin différente, cette fois. Même moi je n'arrive pas à croire que je n'ai pleuré que pendant deux heures ce matin. C'est incroyable, c'est magique.

INSAISISSABLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant