Chapitre V partie 1

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20 h

Je n’aimais pas les mariages. Rectification : jusque-là, je n’avais jamais aimé les mariages...

Rien de plus gonflant qu’un mariage, sans compter que c’était bourré de traquenards. C’était à cette occasion que Tata Bertille essayait de vous caser avec le fils de la sœur du tonton de l’homme qui avait vu l’homme qui avait vu l’homme qui avait vu l’ours. Parce que d’après ce qu’elle en avait vu sur la photo, le mec en question était super beau gosse. Et qu’il avait quarante ans. Soit dit en passant, Tata Bertille avec ses culs de bouteilles devant les yeux avait une super vue. Verdict APRÈS avoir vu la photo : de l’acné juvénile tardive, un appareil dentaire, les cheveux gras, pas d’humour. Bon pour l’humour, il allait de soi que j’extrapolais, mais vu la tronche du mec, je pensais ne pas me tromper.

Ah lala… qu’est-ce qu’il était gentil et intelligent ! Enfin, ça, c’était Tata Bertille qui le disait. Traduction : c’était un nerd complet – collection complète des figurines Star Wars à l’appui + maquette du Faucon Millénium, fabriquée avec des allumettes – qui se promenait avec le masque de Darth Vador en disant à qui voulait l’entendre « Je suis ton Père ! ».

Flippant. Puceau et flippant.

 C’était à cette occasion que vous vous retrouviez malgré vous à la table des mamans. Ah… La poésie de ces femmes tentant de vous vendre le côté magique inhérent à l’aventure de la maternité. C’était la table qui de loin me faisait le plus peur. Pourquoi ? Parce que j’avais l’impression que je me trouvais au milieu d’une espèce de vide-grenier des souvenirs de la maternité, du moment où vous tombiez enceinte, jusqu’au moment où vous accouchiez. Lors d’un précédent mariage, j’avais failli vomir pendant que ces charmantes femmes dégoisaient sur le détail des affres de la douleur de l’enfantement, et j’avais dû rassembler tout mon courage pour rester impassible…

— Et vous alors ? Voie basse ou césarienne ? Péridurale ou haptonomie ? avait demandé la mère foldinguo-hystérique dopée au Guronsan.

— Nan, moi, sans rien : je suis une warrior ! Rien senti quand ils m’ont recousue, depuis le vagin jusqu’à l’anus. lui répondit l’autre, à peu près dans le même état, si ce n’était qu’elle se shootait au Red Bull.

Depuis, elles étaient tellement tellement contentes ! N’avaient jamais, jamais imaginé que devenir maman transformait la vie à ce point… N’avaient jamais eu autant d’énergie ! Ça avait été surréaliste… J’avais eu le sentiment de nager en plein soap américain, genre « Desperate housewives. »

À qui allaient-elles faire croire ça ? Avec les têtes chiffonnées qu’elles se traînaient, les cernes devenus des valises grisâtres, les sourires crispés, les tics faciaux, elles étaient plus crédibles si on les imaginait faire une pub pour un centre de repos, une clinique psychiatrique...

Le summum du pire était les deux autres tables : celles où personne de normalement constitué ne voulait aller. La table des enfants et celle des vieux – Pardon, du troisième âge.

On s’y retrouvait d’office parce que, je cite : « il n’y avait pas de place ailleurs ». Tu parles d’une excuse bidon !

Dans le premier cas, lors du mariage de ma cousine Sandra, j’avais passé la moitié du repas à manger tranquillement parce que les marmots, les yeux ronds comme des billes, la bouche grande ouverte à en gober les mouches, impressionnés de me voir, moi, une vieille, à leur table. À la seconde moitié du repas, je n’avais qu’une hâte : celle de rentrer chez moi le plus vite possible avant de commettre un meurtre, infanticide et autres mots en – icide… j’avais donc décidé de faire semblant de ne pas les voir, des fois qu’ainsi eux ne me verraient pas non plus. Tout ce que je voulais c’était – à part me barrer très vite – qu’à la fin je triomphe de ce terrible combat contre une colonie entière de môme-strueux… Voilà comment je voyais les choses : d’après une théorie assez simple, j’en étais venue à penser qu’un enfant était tout bonnement un monstre déguisé, qui vous suçait votre énergie, moral, patience, les trois... tel un mini vampire.

Un super héros sinon rienOù les histoires vivent. Découvrez maintenant