Partie 3 : Chagrin. Chapitre 4 : Emigration

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C’est ainsi que je me retrouve dans cette camionnette avec trois femmes, deux hommes et un enfant en route pour la Biélorussie. J’ai dit au-revoir à Sonya et je lui ai promis de lui écrire. Elle m’a dit de ne surtout pas le faire, car je la mettrai en danger. Elle m’a d’ailleurs interdit d’avoir sur moi son nom et son adresse. Ce fut donc un adieu définitif.

Cela a été dur de la quitter, mais c’est mieux pour elle et pour moi. Nous en avions longuement discuté, je n’avais pas d’avenir décent en Russie. Ailleurs j’aurai peut-être une chance de m’en sortir. Chez elle, ce fut comme de longues vacances, rien à faire, sinon l’aider à tenir la maison et à s’occuper du potager. J’ai passé un long mois sans stress, sans la peur d’être choisie par un homme pour je ne sais quel plaisir déplacé.

Je sais qu’elle va beaucoup me manquer et je sais que je ne la reverrai jamais ; que je n’aurai plus jamais de nouvelles d’elle. Je lui ai quand même promis que si un jour je reviens en Russie, je viendrai lui dire bonjour. Mais nous savons toutes les deux que c’est une promesse en l’air car elle est âgée et si je reviens en Russie dans les années qui viennent, cela signifiera que je me suis fait prendre. Donc soit je serai dans l’impossibilité de tenir ma promesse, soit elle ne sera plus là quand j’aurai la possibilité de revenir. C’est donc le cœur serré que je suis partie.

Pendant le voyage, je discute avec les autres, enfin, avec les femmes car je ne veux pas m’approcher des hommes et je ne veux pas leur adresser un seul mot. Je discute donc un peu avec Masha, Tatiana et Kristina. Kristina est la mère de Leonid. C’est un garçon, il a huit ans. Il a voulu discuter avec moi mais je l’ai snobé. Pourtant il a l’air sympathique, mais je sais que dans quelques années à peine, il deviendra comme les autres hommes, un salaud qui ne pense qu’à baiser les jeunes filles.

Quand je dis que je discute avec les trois femmes, en fait ce sont elles qui discutent entre elles, je me contente d’être à côté et d’écouter pour passer le temps. Je ne me sens pas d’atomes crochus avec ces femmes, la seule qui me semble sympathique est Kristina, mais il y a Leonid avec elle. Je ne veux donc pas m’attacher à cette femme.

Les deux autres sont assez superficielles et ne me prête pas vraiment attention. Je crois qu’une fois en Allemagne, il faudra que je me débrouille seule, par moi-même. Je m’en sens capable, du haut de mes dix ans.

Les deux hommes discutent entre eux à voix basse, je ne sais pas de quoi ils parlent et je préfère ne rien imaginer. Je trouve tellement ridicule qu’à mon âge j’en suis arrivée à haïr les hommes à ce point et à penser que dès qu’ils font des cachotteries que c’est en rapport avec moi ou avec l’une des femmes. Mais ils ont brisé mon enfance, ils ont brisé ma naïveté, ils ont brisé mon innocence, jamais je ne leur pardonnerais.

Concernant ces deux-là, ils ne me semblent ni mieux ni pire que les autres, ce sont des hommes et rien que pour cela ils sont haïssables. J’ai cru comprendre qu’ils s’appelaient Ivan et Vadim. A un moment ils m’ont regardé et en commençant à s’approcher, ils m’ont demandé si j’avais de la famille en Allemagne. Je les ai regardé avec des yeux noirs et j’ai tourné la tête pour ne plus les voir.

Ils ont compris, ils n’ont pas insisté. Enfin, pour le moment, ils me laissent tranquille. Heureusement que je n’ai que dix ans et que je n’ai pas de forme. Je suis sûre que si j’avais trois ou quatre ans de plus, ils ne me laisseraient pas tranquille. Tous les mêmes, tous des pervers !

Nous arrivons au lieu de passage. Nous avons laissé la camionnette à près de cinq kilomètres de là. Cela fait deux heures qui nous marchons. Il fait nuit. Je ne pensais pas que la frontière de la Russie était si surveillée. Je n’aurai eu aucune chance si j’étais partie seule comme j’en avais l’intention en quittant le pensionnat.

Les âmes sœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant