Partie 3 : Chagrin. Chapitre 8 : Mon manuscrit

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Je suis toujours dans le même cabinet d'avocats, avec ses affaires sordides et inintéressantes. Je m'ennuie ici, ce n'est pas exactement ce que je voulais. Je rêvais de devenir une grande avocate qui défendrait les femmes et surtout les enfants contre la barbarie des hommes. Ce cabinet n'est pas assez connu pour décrocher des histoires intéressantes. La plupart des plaidoiries concernent des adultères suivis d'une demande de divorce.

J'ai bien cherché à le quitter pour en rejoindre de plus prestigieux, j'ai même contacté des cabinets dans lesquels il y avait des hommes, peu d'hommes il est vrai, mais ils n'étaient pas entièrement composés de femmes. J'ai été refusée car après trois ans de métier, je n'ai défendu aucune grosse affaire. Quand je pense que ces mêmes cabinets m'offraient un pont en or il y a trois ans quand je suis sortie major de ma promotion !

La contrepartie d'être dans ce cabinet merdique est que j'ai du temps pour moi, pour réfléchir et imaginer ce qu'aurait été ma vie si mon père n'avait pas été ivrogne. Mes parents seraient encore vivants, je serai avocate, mais en Russie. Certainement j'aurai trouvé un gentil mari et j'envisagerai avec lui d'avoir des enfants. Ma pensée dérive vers Peter, il est censé être mon âme sœur, mais comment aurais-je pu le rencontrer si j'étais restée en Russie ?

Depuis trois ans que je l'ai rencontré, je pense souvent à lui, malgré moi ! En fait ce n'est pas vraiment à lui que je pense, mais à ce qu'il représente, mon âme sœur. Si je n'avais pas été aussi écorchée dans mon enfance, j'aurai peut-être repris contact car depuis que je l'ai vu, je sens un vide en moi. Peter et Théo avaient également ressenti ce vide après leur première rencontre et c'était la raison de leur rapprochement par la suite.

Mais Peter est un homme ! Même s'il a été Chloé dans sa vie antérieure, c'est maintenant un homme ! En plus, il est âgé, il doit avoir dans les 50 à 60 ans. Je pourrais connaitre son âge en relisant le manuscrit, mais cela ne m'intéresse pas, il a l'âge de ceux que je hais le plus, c'était des hommes de cette tranche d'âge qui venaient choisir des enfants pour assouvir leur besoins honteux, c'est viscéral, je ne les supporte pas. Je sais bien que Peter n'y est pour rien, qu'il n'a rien fait, qu'il n'a même jamais fait l'amour ! Mais c'est plus fort que moi, là-dessus, je ne peux pas me raisonner.

Malgré tout, j'ai ce manque, ce vide en moi. En plus, je me sens fautive et honteuse de ne pas lui avoir donné des nouvelles alors que je l'avais promis. Je ne sais même pas s'il est encore vivant. Je suppose que oui car il n'était pas si âgé, mais il y a tant de personnes qui disparaissent, relativement jeunes, suite à un cancer, une crise cardiaque, un AVC ou simplement un accident de la route.

Suite à cette pensée, qu'il avait le droit de savoir pourquoi je l'ai abandonné, petit à petit, une idée a germé dans ma tête. J'ai réalisé cela il y a peu de temps, mais depuis je m'y attelle, je me suis mise à écrire. Tous les jours, pendant une heure ou deux, j'écris ma vie. A l'instar du manuscrit de Théo et de Peter, je fais mon manuscrit, je raconte ma vie, toute ma vie, sans pudeur et sans censure.

Il n'y a que deux personnes à qui j'ai raconté mon enfance, c'était Sonya et Nathalie. Avec Sonya, de tout raconter fut une délivrance. Ce secret me pesait et j'étais trop jeune pour supporter ce poids, je n'avais que dix ans à cette époque. Qu'est devenu Sonya, elle était âgée, je suppose qu'elle n'est plus de ce monde. Si je retourne un jour en Russie, j'essaierai de la retrouver pour la remercier, dans le cas où elle soit encore en vie. Son fils avait aussi été gentil, mais c'est un homme !

Nathalie est celle avec qui j'ai partagé mon secret pour la deuxième fois. Cependant, avec elle, c'était pour réussir à l'amadouer afin qu'elle me permette de rester en France. C'était une confidence calculée qui ne m'avait pas apporté de délivrance mentale. Malgré tout, le but avait été atteint car ils avaient accepté de me laisser séjourner en France. J'étais restée ici et j'ai pu faire des études et avoir un métier, un bon métier, pas le métier sordide tel que cela avait été décidé pour moi en Russie.

Les âmes sœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant