Partie 3 : Chagrin. Chapitre 4 : Emigration (suite)

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Précédemment

Soudain, j’entends des graviers qui crissent sous les pieds d’une personne qui court. En alerte, je me retourne. A environ vingt mètres derrière moi, sous la lumière de la lune, je crois reconnaitre Masha qui me fait signe, complétement essoufflée. Je l’attends mais j’ai peur. Je sais qu’elle n’a pas d’argent. Que me veut-elle ? Me dévaliser ? Elle faisait partie de ceux qui voulaient absolument attendre notre passeur. Sa présence ici n’a aucun sens. J’ai peur, mais je n’ai nulle part où fuir. Je n’ai d’autre solution que de l’attendre mais je reste sur ma défensive pour m’échapper si elle m’attaque. Elle est bien plus grande et bien plus forte, mais je ne m’avouerai pas vaincue sans avoir essayé de combattre.

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En arrivant à moi, elle me sourit. Je reste perplexe. Cherche-t-elle à m’amadouer afin que je lui fasse confiance et que je baisse ma garde ? Elle m’explique qu’une enfant seule n’a aucune chance de traverser la frontière. Nous aurons plus de chance si les gens voient une femme avec sa fille. Elle me propose donc de m’accompagner.

Je reste dubitative et je lui demande ce que sont devenus les autres, elle me répond qu’ils continuent d’attendre. Je m’étonne alors du fait qu’elle ait décidé de m’accompagner alors qu’elle voulait plus que tous les autres attendre le passeur. Elle me répond
- hier j’ai vraiment très apprécié ton geste, alors que tu ne me connaissais pas et que tu n’avais rien à attendre de moi. Je te suis redevable et je ne pouvais donc pas t’abandonner. Je vais tout faire pour que tu puisses traverser la frontière. 

- Ne vas-tu pas regretter de ne pas avoir attendu le passeur ? Nous ne connaissons pas son contact en Pologne et nous ne savons pas le lieu de passage. Tu risques de tout perdre en m’accompagnant.

- Je ne pense pas, à y réfléchir, c’est toi qui avait raison, la traversée à l’aide du passeur est compromise et passer à sept la frontière sans lui est du suicide. A nous deux, nous avons plus de chance de réussir. Je pense même que c’est notre seule chance et que j’ai donc bien plus à gagner en t’accompagnant qu’en restant avec les autres.

Nous continuons donc la route ensemble. En fait, je me sens grandement rassurée d’avoir Masha avec moi. J’ai encore des doutes sur sa sincérité, mais elle semble gentille et c’est une adulte. Je ne suis qu’une enfant et d’avoir un adulte pour prendre les décisions est rassurant.

Je suis d’ailleurs consciente que j’ai moins de risque de me faire prendre si elle m’accompagne. En particulier, faire les commissions dans un magasin paraitra moins suspect si c’est une mère et sa fille plutôt qu’une jeune fille toute seule, surtout si cette fille paye avec des roubles russes. Malgré tout, je reste sur mes gardes, je ne lui fais pas confiance.

Nous traversons une ville, Kamianets. Tous les commerces sont fermés. Masha me demande si j’accepte de me reposer dans un hôtel. J’hésite mais je n’ai pas vraiment envie de dormir dehors. Nous trouvons un petit hôtel et nous réservons une chambre. Elle est payable d’avance, mais au moins l’hôtelier ne nous demande rien d’autre.

J’ai donné l’argent à Masha avant d’entrer, il aurait été très suspect si c’était moi qui avait payé. Je n’ai qu’une peur, c’est qu’elle le garde et s’enfuie seule avec. La chambre est miteuse, mais les draps sont propres. C’est un grand lit, un seul. Nous nous couchons dedans ensemble.

Je suis si fatiguée que je m’endors rapidement. Je voulais attendre qu’elle s’endorme afin de récupérer mon argent, c’est raté.

Au lever du jour, nous décidons de repartir. Je suis heureuse qu’elle soit toujours là et qu’elle ne soit pas partie pendant la nuit en me laissant seule et sans sous. Les magasins sont encore fermés. Il y a cependant une boulangerie d’ouverte. Nous achetons un gros pain avant de continuer notre chemin.

Les âmes sœursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant