Chapitre 1 (3/3)

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— Désolé... grommela Nathanaël. Reste à côté de moi, d'accord ?

À son regard, il comprit qu'il ne s'était pas montré suffisamment convaincant. Il se redressa en toussotant, gêné, avant de reporter son attention sur le mauvais esprit qui tentait toujours d'atteindre Fanny. Simple amas d'émotions négatives, il n'avait aucunement conscience que sa dernière heure était venue.

Sans quitter sa proie des yeux, Nathanaël plongea la main dans son sac et attrapa la sacoche qui contenait son matériel.

— Dis, c'est quoi, ton problème ? Tu passes la journée à me fixer comme un psychopathe, tu me suis jusque dans une rue déserte, tu me sautes dessus, puis tu m'ignores ?

L'adolescent cligna plusieurs fois des yeux, abasourdi. Il lâcha finalement l'esprit du regard et se retourna. Fanny s'était remise sur ses pieds. Elle époussetait son jean et ses mains écorchées. Nathanaël ne put s'empêcher de déglutir quand il remarqua son air furibond.

— J'ai... Je voulais...

Aucune explication potable ne lui vint en tête. Il réfléchit un instant, cloué sur place par l'air assassin de sa camarade, quand ce dernier se porta derrière lui. Toute colère déserta ses traits, remplacée par l'horreur absolue.

— Qu'est-ce que c'est que ça ?

Les yeux de Nathanaël passèrent de sa camarade à l'anomalie. C'était bien sur cette dernière que se portait désormais toute son attention.

Il jeta un œil à son aura. Celle-ci s'agitait, instable. Il retint un juron et se concentra sur le voile doré. Dans son empressement, son contrôle sur ce dernier lui avait légèrement échappé. Son énergie spirituelle s'était un peu trop mêlée à celle de Fanny et avait commencé à l'éveiller... Une erreur de débutant aux lourdes conséquences pour la jeune fille...

Fanny fit volte-face et s'apprêtait à prendre ses jambes à son cou quand l'adolescent la saisit par le bras.

— Ne t'éloigne pas ! Pas encore... Désolé...

Le mauvais esprit l'avait repérée. Une partie de son miasme se mélangeait déjà à l'aura de sa camarade. Pour l'éliminer totalement, ses effets néfastes avec, il était important que Fanny se trouve dans le champ d'action de la cérémonie. Dans son malheur, maintenant qu'elle aussi voyait l'anomalie, elle se montrerait sans doute un peu plus coopérative.

Les tentacules dansaient à présent énergiquement au-dessus des meubles. Ils présentaient à présent une teinte grise clairement visible.

— Catégorie trois ? Déjà ? Mais... Comment...

Il n'eut pas le temps de terminer sa question. Un bras de brume se jeta brusquement sur lui. Par réflexe, il insuffla davantage de son énergie dans son talisman et l'esprit se fracassa contre son bouclier invisible.

L'anomalie grandissait vite. Beaucoup trop vite.

La surprise de Nathanaël se mua en affolement. Sans perdre plus de temps, il sortit un sachet de sel de sa sacoche. Il batailla deux secondes pour l'ouvrir puis en jeta une poignée en ligne droite devant lui. La poudre blanche prit des teintes dorées au contact de son énergie. L'effet fut immédiat : les tentacules gris battirent en retraite vers les meubles.

L'adolescent en profita pour s'accroupir et vider son matériel à même les pavés. L'anomalie n'était que de catégorie trois pour le moment, une barrière linéaire suffisait encore. Il ignorait en revanche comment elle avait pu se renforcer si vite. Ce n'était pas normal... Si elle grandissait encore...

— Nathanaël, qu'est-ce que tu fais ? Il faut fuir, vite !

Il ignora le cri terrifié de Fanny. Les explications viendraient plus tard. Sur les pavés, un seul objet luisait d'une lueur dorée : le thym. Sans réfléchir, il s'en saisit et l'émietta entre ses deux paumes. Tant pis pour la cérémonie complète, la méthode rapide ferait l'affaire, quand bien même elle brillait par sa dangerosité.

Poing fermement serré sur son arme granuleuse, Nathanaël prit une profonde inspiration, posa une main sur le talisman qu'il sentait pulser contre son torse, alimenté par la tension qui montait en lui, et fit un pas de l'autre côté du bouclier de sel.

Aussitôt, les tentacules se concentrèrent sur lui et sur l'énergie que sa barrière protectrice émettait. Point positif : ils semblaient s'être complètement désintéressés de Fanny et ne tentèrent pas de contourner la ligne dorée qui lui offrait un semblant de défense.

— Nathanaël ! s'inquiéta aussitôt sa camarade.

— T'inquiète...

L'adolescent progressa rapidement vers les meubles, certains brisés, d'autres simplement vieux, abîmés par les ans et leur séjour à l'extérieur. À mesure qu'il avançait, l'esprit se fit plus virulent, plus agressif. Il n'était pas encore suffisamment puissant pour menacer véritablement Nathanaël, rompu à l'exercice, mais il apparut immédiatement au lycéen que son adversaire gagnait en force à une vitesse qu'il n'aurait pas crue possible.

Arrivé devant les encombrants, Nathanaël observa attentivement les mouvements des tentacules. Enfin, ses yeux se posèrent sur le miroir brisé d'une petite coiffeuse. Celui-ci, englouti par une brume épaisse et grisâtre, était à peine visible. Il avait trouvé le réceptacle.

L'adolescent écarta une chaise au dossier cassé en deux et une armoire de poupée pour dégager sa cible. Il inspira une dernière fois, puis retira toute l'énergie qu'il fournissait à son talisman protecteur.

Le mauvais esprit remarqua immédiatement le manque de défense de son adversaire. Il bondit sur Nathanaël, l'enveloppa tout entier. L'adolescent sentit sa concentration vaciller, mise à mal par le froid et la tristesse que les tentacules tentaient de lui imposer.

Heureusement, ses réflexes ne se laissèrent pas influencer par la brume sombre. Son bras se tendit vers le miroir et y plaqua le thym. Le lycéen insuffla son énergie aux miettes de la plante séchée.

Il sentit l'anomalie spirituelle tressaillir, puis se retirer vers son réceptacle. Les grains que Nathanaël lui avait appliqué y étaient collés, brillants d'une intense lumière dorée. Tout autour d'eux, la brume se dissipait déjà dans un dernier sursaut d'agonie.

Le lycéen garda les yeux fixés sur les ultimes particules grises qui voletaient tout autour de lui jusqu'à ce qu'elles disparaissent à leur tour dans le néant.

— Qu'est-ce... Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que tu as fait ?

J'ai démoli un mauvais esprit qui voulait te mener la vie dure...

Les mots ne quittèrent pas les confins de son esprit. Il se tourna vers Fanny, dans l'espoir que se retrouver face à elle rendrait les explications plus simples.

Raté. L'air d'effroi et de méfiance qu'il découvrit sur le visage de sa camarade effacèrent toutes les phrases d'accroche qui avaient commencé à se former dans sa tête.

Nathanaël demeura bouche bée pendant de longues secondes. De très longues secondes. Pourquoi son téléphone ne sonnait-il pas pile à ce moment-là ? Pourquoi un nouvel esprit ne surgissait-il pas derrière eux ? Tout, n'importe quoi... Pourvu qu'il échappe à cette situation...

Il s'aperçut alors que la distance entre Fanny et lui avait cru. S'était-elle éloignée ? Non. Elle n'avait pas bougé. C'était lui qui commençait à reculer.

Avant d'avoir pu comprendre ce qu'il faisait, l'adolescent s'enfuyait déjà à toutes jambes.

Le héros qui annonçait, l'air grave, qu'il était un médium à la fille qu'il venait de sauver, c'était bon pour les films et les bandes dessinées. Nathanaël n'avait qu'une idée en tête : partir le plus loin possible et oublier ce qu'il venait de se passer. Avec un peu de chance, l'univers lui donnerait raison et effacerait les derniers événements.

Ce dernier avait cependant d'autres projets pour lui : alors qu'il n'était plus qu'à quelques mètres de l'avenue, une voiture noire fit crisser ses pneus en s'arrêtant devant lui.

L'adolescent sentit son cœur plonger dans sa poitrine quand il aperçut les auras dorées de ses occupants.

Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant