Chapitre 7 (3/3)

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« Ça va ? »

Nathanaël déchiffra le mouvement des lèvres de Jacques et hocha la tête. Le vieux médium l'aida à se relever, puis à descendre les escaliers. Il le soutint ainsi jusqu'à la voiture. Les acouphènes de l'adolescent commençaient à peine à se résorber quand Alexis prit place derrière le volant et poussa un soupir de soulagement.

— Sacré début de nuit... marmonna-t-il en bouclant sa ceinture. Il était passé au niveau six au moment où on l'a eu, ou c'est juste moi ?

— C'est juste toi, le contredit Audrey. Mais il n'en était pas loin. Tu as bien tenu le coup, Nathanaël ! Tu te débrouilles merveilleusement bien avec les barrières !

L'adolescent accueillit le sourire chaleureux de la médium avec une pointe d'embarras. Lui-même ne comprenait pas ce qu'il s'était passé. Il se connaissait. Cette puissance n'était pas la sienne. Son aura n'était pas capable de réaliser ce qu'elle avait accompli ce soir.

— Fais-toi examiner par ta tutrice à la maison, grommela Jacques.

Nathanaël tourna les yeux vers l'instructeur. Il ne distinguait pas parfaitement son expression, à contre-jour des lampadaires qui défilaient le long de la route. Il se doutait cependant qu'elle était aussi neutre que d'habitude.

La sensation humide perdurait dans ses oreilles. L'adolescent porta une main à l'une d'elles et l'examina à la recherche de la moindre trace de sang. À son grand soulagement, elle ne semblait pas en présenter une seule.

— Est-ce que je saigne ? s'enquit-il néanmoins en désignant son écouvillon à Jacques.

Il espérait qu'il ne s'agissait que de sueur, mais la luminosité incertaine dans la voiture pouvait très bien lui masquer la couleur de l'hémoglobine.

— Non, confirma Jacques. Mais ne fais pas le fanfaron, prends toutes les précautions possibles.

L'adolescent acquiesça. Il pouvait réaliser ses propres injections tout seul, mais Philippine remarquerait aussitôt une utilisation prématurée de l'un des flacons de coagulants. Il n'avait donc pas d'autre choix que de la tenir au courant... Le récit de la soirée ne plairait pas à l'infirmière. En revanche, une visite aux urgences en pleine nuit l'amuserait encore moins.

Si ses missions se déroulaient ainsi à chaque fois, il allait devoir songer à faire un bon stock de médicaments... Le tout serait de convaincre l'hôpital qu'il ne se lançait pas dans un trafic ou qu'il ne s'était pas pris d'une dangereuse passion pour la boxe.

— Tu veux toujours intégrer l'Institut ?

La question prit Nathanaël de court. Jacques fixait la route devant eux, mais le lycéen savait qu'il l'observait du coin de l'œil, il acquiesça donc sans tarder. Les dangers auxquels il s'exposait ne lui étaient pas inconnus. Il avait également compris que son niveau n'égalait nullement celui de ces professionnels. L'amertume de cette constatation perdurait toujours au fond de sa gorge.

Et pourtant... Peut-être ces exploits n'étaient-ils dus qu'au hasard, mais il était parvenu à repousser un poltergeist de niveau cinq, presque six, et à rejoindre la voiture sans manquer de s'évanouir.

Son regard se posa sur sa main gauche, celle qui avait tenu son talisman pendant l'attaque du spectre. Son aura l'enveloppait, fine pellicule dorée flottant à quelques millimètres de sa peau. Il était impossible de déterminer la puissance d'un médium expérimenté à l'énergie spirituelle qu'il dégageait, il en avait conscience. Pourtant, il ne put s'empêcher d'y chercher une preuve, un signe qu'il n'avait pas rêvé.

Une légère pression en haut de son bras lui fit tourner la tête. Jacques s'était penché dans sa direction et le fixait avec sévérité, un coude posé sur le dossier de la banquette arrière.

— Un conseil : rentre chez toi. Oublie l'Institut et les mauvais esprits. Va au lycée, à la fac... Où tu veux... et construis ta vie loin de nous. Ça vaudra mieux.

La déception s'abattit sur Nathanaël comme une vague glaciale. Les mots de protestation se pressèrent sur sa langue, noyèrent ses pensées. Il dut fournir un effort conscient pour en sélectionner quelques-uns et les associer en une phrase sensée.

— Hors de question ! Je veux aider, vous en avez besoin ! Je ne suis peut-être pas très puissant, mais j'ai un peu d'expérience... Et ce n'est pas parce que je suis un peu malade que...

— Je ne parle pas que de ça, l'interrompit Jacques.

Le ton tranché de l'homme interpella l'adolescent. La mention de sa maladie ne semblait pas le surprendre. Il avait également suggéré que Philippine l'examine... Le vieux médium savait-il qu'il était atteint d'hémophilie ? Monsieur Beaulieu avait pourtant gardé le silence à ce sujet. Peut-être avait-il entendu parler de lui quand l'Institut l'avait recueilli à la mort de son père... Maintenant qu'il y pensait, ils étaient nombreux à se souvenir du petit médium indépendant qu'avait été Manuel Jackowski...

Jacques ne le laissa pas réfléchir plus longtemps et poursuivit en baissant la voix :

— Tu connais le côté sombre de l'IFSS, tu en as fais les frais. Crois-moi, c'est tout le milieu qui est pourri jusqu'à la moëlle. Bats en retraite avant de te retrouver mêler à plus gros que tu ne peux supporter.

L'avertissement que l'adolescent perçut dans les yeux et dans le ton du médium le fit déglutir. Il baissa les yeux sur ses mains, sur la légère brume dorée qui brillait autour de ses membres. Il était né avec. Il l'avait cultivée, avait appris à la contrôler, avait passé des heures à feuilleter des ouvrages, à confectionner des sorts, à parfaire ses techniques... Et cet inconnu lui ordonnait de tout oublier... De laisser tomber et de vivre comme si de rien n'était...

— Non, déclara-t-il. Même si vous ne voulez pas de moi à l'Institut, j'aiderai comme je pourrai, à mon niveau.

Jacques se redressa en soupirant et laissa sa nuque reposer contre l'appui-tête.

***

Le reste du trajet fut marqué par le silence. Lorsque Alexis gara finalement la voiture au sous-sol de l'Institut, une femme d'une quarantaine d'années fondit sur eux.

— Il y a une nouvelle alerte, niveau deux ! s'exclama-t-elle en montant à l'arrière à la place que Jacques venait de quitter.

Nathanaël comprit qu'il s'agissait de la coéquipière d'Alexis et d'Audrey. Il regarda le véhicule repartir en trombe et se retrouva soudain seul avec le vieux médium.

— Suis-moi, lui ordonna ce dernier.

Tous deux remontèrent au rez-de-chaussée, dans la salle de repos où Béatrice et Georges mangeaient sur la petite table ronde. Une assiette à peine entamée témoignait du départ brutal de leur collègue.

— Vous voilà de retour, constata monsieur Beaulieu en se levant du canapé, une fourchette à la main. Alors, comment ça s'est passé ?

Nathanaël n'osa pas croiser le regard de l'homme. Il savait à quoi s'attendre et avait déjà pris sa décision : même si Jacques ne voulait pas de lui, même si l'Institut le renvoyait chez lui, ils ne l'empêcheraient pas de pratiquer son art. Ses ressources seraient certes limitées – il ne pourrait pas pénétrer n'importe où, détecter les anomalies à plusieurs kilomètres à la ronde et devrait payer lui-même son matériel –, mais il se débrouillerait.

— Je le prends comme assistant, annonça Jacques.

L'adolescent dut se répéter la phrase plusieurs fois dans la tête avant d'en saisir le sens. Il était accepté ? Malgré l'insistance du vieux médium à l'écarter de l'IFSS ? Peut-être ses paroles avaient-elles été un test pour évaluer sa détermination en ces temps incertains... C'était difficile à dire, le visage de l'instructeur ne trahissait pas plus d'émotions que d'ordinaire.

Du coin de l'oeil, il vit Béatrice lui sourire et Georges lever un pouce enthousiaste dans sa direction. Monsieur Beaulieu tendit une main à Nathanaël qui la serra avec embarras.

— Parfait ! Bienvenue parmi nous, alors, Nathanaël. Je te raccompagne à la sortie, je t'expliquerai un peu notre mode de fonctionnement sur le chemin.

Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant