Chapitre 9 (1/2)

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Nathanaël suivit machinalement Baptiste jusqu'à l'étage de l'instruction. Les questions se pressaient dans son esprit, mais aucune n'accepta de franchir la barrière de ses lèvres.

Il ne voulait pas y croire. Il ne pouvait pas y croire. Il demeura silencieux. Ce devait être une mauvaise blague... Ou de simples rumeurs... Après tout, son père n'était pas membre à part entière de l'Institut. Ces gens qui prétendaient se souvenir de lui ne le connaissaient pas vraiment.

Le petit « a » entre parenthèses inscrit sur sa fiche d’informations lui revint en mémoire et il déglutit. Peut-être ne signifiait-il pas « absent » ni « associé ». « Adopté » ? Monsieur Beaulieu avait écarté sa question lorsque Nathanaël avait voulu se renseigner… S’il était au fait de l’ignorance de l’adolescent, il avait sans doute estimé que lui apprendre la vérité n’était pas de son ressort.

Non. Évidemment qu’il était le fils biologique de son père… Comment pouvait-il se poser soudain la question ? Il n’avait peut-être pas la même couleur d’yeux, de peau, ni la même forme de visage, mais les cheveux de Manuel avaient autrefois été aussi foncés que les siens, il l’avait vu sur une photo.

— Je suis désolé… Je pensais que tu le savais…

Les excuses de Baptiste rebondirent sur lui sans l’atteindre. Il ne voulait plus entendre sa voix. Seules les pensées rassurantes que le lycéen se répétait en boucle importaient. Mais il lui suffisait d’un détail, d’une faille dans le raisonnement du médium pour lui prouver qu’il se trompait. Il ne pouvait pas tourner les talons et claquer la porte maintenant.

— À vrai dire, je ne suis pas le plus calé sur le sujet… Tout ce que je sais, c’est que ton père t’a rencontré dans un foyer quand tu étais bébé et qu’il a fait intervenir l’Institut pour obtenir l’autorisation de t’adopter. Nos services sociaux doivent avoir des traces de l’époque, je vais leur demander, si tu veux…

Nathanaël ne répondit pas. Il se fichait de cette histoire montée de toutes pièces et voulait simplement dire à Baptiste de garder ses inepties pour lui. Le médium sembla prendre son silence pour un « oui » et porta son téléphone à son oreille. L’adolescent l’écouta faire sa demande et suivit trop docilement à son goût son guide jusqu’à son bureau.

La colère grondait en lui. Il n’appréciait pas que quelqu’un tente de détruire en quelques mots le lien qui l’unissait à son père. Nathanaël était sa chair et son sang, il le savait. Quoi que l’Institut puisse lui montrer comme documuents ou photos, il ne les croirait pas.

À peine Nathanaël se fut-il rassis sur la chaise face à Baptiste que l’imprimante dans un coin de la pièce se mit à cracher des feuilles. Le médium les rassembla sans un mot et les tendit à l’adolescent.

— Voilà ton dossier. Je n’ai pas le droit de le consulter, donc si on te demande, je n’y ai pas touché, d’accord ?

L’adolescent attrapa les quelques pages d’une main tremblante. Ses certitudes achevèrent de s’effondrer quand il vit la première page. Le drapeau bleu blanc rouge, les symboles, la présentation… Un papier officiel, à n’en pas douter. Son nom y figurait, ainsi que celui de son père. Il reconnut l’écriture un peu brouillonne de Manuel sur les pointillés. Et, tout en bas, sa signature.

Un acte d’adoption. La sienne.

Il serra les feuilles un peu trop fort et celles-ci se froissèrent. Peu lui importait. Les larmes qui commençaient à lui monter aux yeux l’empêchaient de lire, de toute façon.

— Écoute, Nathanaël, ce n’est pas si grave que ça, ne t’en fais pas…

L’adolescent se leva, ignora les interpellations de Baptiste et se précipita vers la sortie.

***

Le lycéen réussit à contenir sa douleur sur le trajet du retour. Il était encore plongé dans ses pensées quand il s’aperçut enfin qu’il était arrivé devant la porte de l’appartement. Philippine se trouvait sans doute de l’autre côté. Elle remarquerait son trouble et s’inquièterait. Il ne voulait pas qu’elle se fasse du mouron pour lui.

Indécis, il resta donc planté sur le paillasson fleuri. Une relique aux couleurs un peu passées qu’il n’avait jamais aimée, mais l’infirmière la tenait de sa grand-mère, donc elle refusait de s’en séparer.

Sa grand-mère... Il avait connu la mère de son père, une non-sensible fluette à la voix chantante. Cela n'avait duré que quelques années, qu'elle avait passées dans sa chambre médicalisée ou à l'hôpital. Elle était décédée quand il avait sept ans, mais il se souvenait encore parfaitement de son visage qui s'illuminait de joie dès qu'elle le voyait.

S’il n'avait aucun autre lien avec elle qu'un papier qui le déclarait comme le fils de Manuel… Il secoua la tête pour ravaler la bile qui montait dans sa gorge. L'avait-elle su ? Ou bien son père lui avait-il menti à elle aussi ?

Le craquement des escaliers en bois le tira de ses pensées. Peu désireux d'être vu ainsi hésitant devant chez lui, il glissa sa clé dans la serrure et entra.

La respiration profonde et les yeux fermés de Philippine, allongée sur le canapé, le rassurèrent : il n'aurait pas à lui raconter ce qui s'était passé à l'Institut. Du moins, pas immédiatement. Une part de lui, pourtant, regretta qu'elle ne soit pas réveillée pour l'écouter et le réconforter.

En faisant le moins de bruit possible, Nathanaël se faufila jusqu'à sa chambre, dans laquelle il s'enferma silencieusement, avant de se laisser tomber sur son lit et d'enfouir son visage dans son oreiller.

Malgré son désir de penser à autre chose, son esprit était irrémédiablement attiré par ses souvenirs. Tout à coup, tous les sourires de son père, tous les bons moments qu’ils avaient passé ensemble, tout lui paraissait faux.

Un point en particulier lui revenait en tête. Un point qu'il avait toujours ignoré parce que son père n'en parlait jamais : sa mère...

Il n'avait pas voulu peiner Manuel en l'interrogeant à ce sujet. Il avait prétendu toute sa vie qu'il n'en avait rien à faire, peut-être pour s'en convaincre lui-même... Toujours était-il qu'il ne savait strictement rien à son sujet. Son nom, son âge, la couleur de ses yeux, de ses cheveux... Il n'avait même jamais vu la moindre photo d'elle.

Il comprenait, désormais : cette discrétion n'était pas due à la douleur de Manuel d'élever leur fils sans elle, mais tout simplement parce qu'il n'en connaissait pas plus que Nathanaël à son propos…

Du bruit dans la pièce voisine lui apprit que Philippine s’était réveillée. Quand il entendit ses pas s’approcher de sa chambre, il se tourna sur le côté, face au mur, et fit semblant de dormir. Comme il s’y attendait, quelques légers coups à sa porte précédèrent son ouverture.

L’infirmière demeura immobile un moment, l’adolescent fit donc de même.

— Nana, ça ne va pas ?

Elle n’avait pas été dupe. Sa respiration trop rapide, peut-être. Ou l'aura maussade qui devait émaner de lui...

La question détruisit totalement ses barrières mentales. Tel un raz-de-marée, ses émotions l'envahirent et les larmes lui montèrent une nouvelle fois aux yeux. Il ne chercha pas à les contenir, il s'en savait incapable.

Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant