Elle se tenait là, à deux mètres de lui. Ses cheveux bruns frisés tombaient sur son dos, voûté sur son bureau. La manche gauche de son gilet jaune, tâchée par l'encre bleue de son stylo-plume, allait et venait sur la feuille dont elle remplissait petit à petit les lignes.
Fanny Le Bars n'avait pas remarqué son regard. Et pourtant, il l'observait depuis près d'une demi-heure déjà. Enfin... Ses yeux étaient surtout rivés sur cette faible aura qui s'échappait de tout son être, s'étirait en volutes autour d'elle. Jusqu'à la veille, celle-ci avait été contenue. Il y avait veillé. Alors pourquoi n'était-ce plus le cas ce jour-là ?
Son regard glissa vers le sac posé à côté de son bureau. Il était neuf. Son vieux cartable était... vieux. Nathanaël s'était douté qu'elle en changerait un jour. Et ce dernier était arrivé.
Elle avait sans doute trouvé le talisman qu'il avait glissé dans ses affaires quelques mois plus tôt. L'étonnement passé, elle n'avait pas dû juger nécessaire de le garder.
Mal lui en avait pris. Il devait agir au plus vite. Son attention se dirigea vers son propre sac, dans lequel se trouvait son talisman de secours. Il devait trouver le moyen de le lui transmettre. Dans son état actuel, n'importe qui – et surtout n'importe quoi – la repérerait aisément. Il s'en voudrait s'il lui arrivait quoi que ce soit alors qu'il avait le moyen de l'en empêcher.
La possibilité de l'approcher frontalement pour lui fourrer l'objet dans la main lui avait un instant traversé l'esprit, ce jour de la rentrée où il l'avait repérée. Nathanaël s'y était pourtant refusé : si elle apprenait ce qu'il savait, si elle mettait un pied dans ce monde, aucune marche arrière ne serait possible. Elle serait hantée par cette discussion jusqu'à la fin de ses jours et ce n'était pas une responsabilité qu'il se sentait prêt à endosser.
— Qui veut essayer de résoudre cette équation ? demanda le professeur qui se tenait devant le tableau. Fanny ?
La cible de son attention se leva avec une pointe d'appréhension et fit son chemin jusqu'à l'avant de la classe. L'aura dorée ne la quitta pas un instant. Son éclat toucha délicatement le feutre bleu que lui tendait le professeur avant que l'adolescente ne s'en saisisse.
Tandis que Fanny restait en état de sidération devant les chiffres, les lettres et les symboles mathématiques qu'elle était censée réarranger en une formule tout aussi compliquée, mais légèrement plus courte, la brume qui l'entourait se dilata. Elle battait nerveusement l'air, portée par l'agitation difficilement contenue de sa propriétaire.
Au bout de cinq secondes de supplice, l'adolescente tourna un regard paniqué vers le professeur. Celui-ci la guida pas à pas vers la solution et, lorsque Fanny encadra finalement l'équation simplifiée, son aura retrouva un semblant de calme.
Nathanaël détourna les yeux pendant que sa camarade rejoignait sa place. Comme la majorité des sensibles non éveillés qui laissaient ainsi leur énergie déborder, incontrôlée, elle ignorait sans doute en être seulement dotée. De ce fait, lui expliquer pourquoi il avait le regard rivé sur elle relèverait davantage de la mission impossible et gênante que de la conversation amicale. Une mission dont il se passait volontiers, merci bien.
— Nathanaël, tu viens résoudre l'équation suivante ? À moins que la seule façon de te faire regarder le tableau soit de mettre une fille devant...
La remarque fit sursauter l'adolescent. Il sentit aussitôt son visage s'empourprer. Sous les regards et rires moqueurs du reste de la classe, il se leva et trottina jusqu'au professeur, tête basse.
***
Quatre heures plus tard, Nathanaël observait toujours Fanny, caché au coin d'un couloir. Elle se trouvait quelques mètres plus loin, en compagnie d'une autre fille qu'il ne connaissait que de vue. Apparemment, toutes deux venaient du même collège. Sans doute étaient-elles amies, puisqu'elles passaient le plus clair de leur temps ensemble en dehors de la salle de classe.
Après les mathématiques était venue l'histoire-géo, puis la récréation et deux heures de français. Quand la sonnerie avait enfin annoncé la pause déjeuner, Nathanaël n'était toujours pas parvenu à glisser le nouveau talisman dans le sac de sa camarade. Il le tenait à présent fermement serré entre ses doigts, prêt à agir dès que l'opportunité se présenterait. Pourtant, cette dernière se faisait attendre.
— Bah alors, Papy Jacko, tu t'es trouvé une petite amie ?
Nathanaël retint un soupir exaspéré. Il se retourna pour voir arriver Sam, un sourire sur les lèvres, escorté par deux de ses amis.
Il connaissait le garçon depuis la rentrée de sixième, qu'ils avaient vécue assis l'un à côté de l'autre. Ils s'étaient plutôt bien entendu pendant environ un an... Le temps que Sam comprenne que son nouvel ami n'était pas tout à fait normal, sans vraiment saisir pourquoi. Depuis, il ignorait soigneusement Nathanaël. Du moins jusqu'à la rentrée dernière. Peut-être s'était-il mis en tête d'intégrer l'un des groupes de pseudo-gros bras, ce qui nécessitait d'avoir un souffre-douleur. Sam avait décidé de se montrer original et, au lieu de martyriser les premiers de la classe, s'était soudain souvenu de l'existence de son ancien ami. L'ombre de la culpabilité qui se dissimulait derrière son air moqueur n'échappait pourtant pas à ce dernier. Nathanaël s'était donc mis en tête de ne pas réagir jusqu'à ce que Sam se rende compte à quel point il était stupide.
— Oh, tu lui as même trouvé un petit cadeau ! C'est trop mignon ! Montre un peu...
Il tendit la main et tenta d'arracher le talisman des mains de Nathanaël. Comme à son habitude, ce dernier joua le jeu sans se laisser abattre. L'un des avantages, quand on connaissait son apprenti agresseur, c'était qu'on savait comment il fonctionnait. Sam cherchait simplement à se faire bien voir de ses acolytes et du cercle de gros bras du lycée, il se contentait donc de peu. Le simple fait d'avoir « réussi » à récupérer ce qu'il convoitait constituerait une victoire pour lui et il laisserait Nathanaël tranquille pour le reste de la journée.
Le geste un peu trop enthousiaste fit voler le petit sachet en tissu grossièrement cousu qui tomba deux mètres plus loin. Comme l'adolescent s'y attendait, Sam se pencha pour le ramasser. Ses sourcils se froncèrent très légèrement quand il l'observa de plus près. Il semblait soudain regretter son geste. Bien fait pour lui.
— C'est quoi, ce truc ? grommela-t-il.
Il ne tenta pas d'ouvrir le cordon rouge serré en l'un des triples-doubles-nœuds dont Nathanaël avait fait sa marque de fabrique. Son regard se porta à la place sur son souffre-douleur. Tout amusement en avait disparu, remplacé par une incertitude que Nathanaël prit un malin plaisir à contempler. Il ne laissa pourtant pas son sourire lui échapper : si les acolytes de Sam comprenaient qu'il se moquait d'eux, ils se mêleraient certainement au jeu et les brimades risquaient d'escalader un peu trop à son goût. Même si l'aura qui recouvrait son corps comme une seconde peau demeurait invisible au commun des mortels, ceux-ci n'y étaient pas totalement insensibles et l'évitaient par réflexe. Cependant, si quelqu'un se donnait suffisamment de mal pour passer outre ce rejet inconscient, le sentiment dominant devenait généralement de l'animosité. Après tout, il était plus simple de haïr ce que l'on ne comprenait plutôt que de chercher à sympathiser.
Devant son visage impassible, Sam finit par laisser tomber le talisman par terre avant de s'éloigner en rigolant avec ses amis. Nathanaël ramassa le petit sac, l'épousseta et se tourna à nouveau vers Fanny.
Elle avait disparu.
L'adolescent jura silencieusement et sortit de sa cachette, à la recherche de sa camarade. Il parcourut les couloirs du lycée, la bibliothèque, la salle d'étude, jetant des regards discrets à droite à gauche. En vain. Lorsqu'il passa enfin devant le panneau d'affichage de l'entrée, il s'immobilisa et sentit son cœur s'emballer.
Leur professeur de physique était absent. Sa classe n'avait plus cours de la journée.
Nathanaël s'élança en quatrième vitesse vers la sortie. Tant pis pour la discrétion, il devait donner le talisman à Fanny le plus vite possible.
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Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)
Fantasi⚠️ 𝐒𝐞𝐮𝐥𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐭𝐢𝐞́ 𝐝𝐮 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐩𝐨𝐧𝐢𝐛𝐥𝐞 Dans la Ville Lumière, les ombres n'attendent pas que vous les regardiez pour vous rendre la pareille... Dans la vie, Nathanaël n'a que deux aspirations :...