Chapitre 5 (1/3)

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— Tu as ton téléphone ?

— Oui...

— Ton portefeuille ? Ta bombe au poivre ?

— Je n'ai pas besoin de bombe au poivre pour une soirée, Phi...

— Tu ne l'as pas prise ? Mais enfin, Nana, c'est l'Institut ! Bien sûr que tu en as besoin !

— Arrête de m'appeler comme ça...

Philippine se mordit la lèvre, visiblement stressée. L'adolescent se racla la gorge et détourna le regard. Son attention se porta sur le bâtiment de l'autre côté de l'avenue. Il ne payait pas de mine : la façade en béton grossièrement peinte en blanc criait « années cinquante » à quiconque s'y intéressait d'un peu trop près. Rien ne le distinguait des immeubles attenants, si ce n'était le nombre de fenêtres allumées qui éclairaient joyeusement (et peu écologiquement) le trottoir.

Le lendemain de son combat contre le mauvais esprit, Nathanaël avait longuement observé la carte de visite de Béatrice Sanson. Son souhait de rejoindre l'IFSS pour aider les médiums dans leur mission, tellement évident la nuit même, lui était alors apparu bien creux et prétentieux : il n'était qu'un adolescent de quinze ans incapable de déterminer ses limites. En quoi pourrait-il bien être utile aux professionnels qui protégeaient la population tous les jours ?

Malgré tout, il avait fini par composer le numéro inscrit sur la carte et avait attendu, la boule au ventre.

— Bon, je serai dans ce bar avec des amies, soupira Philippine en désignant du pouce l'établissement derrière eux. Au moindre souci – je dis bien au moindre souci –, tu m'appelles et j'accours.

Nathanaël acquiesça et la regarda s'éloigner d'un pas hésitant. Une fois ou deux, elle se retourna vers le bâtiment de l'Institut, un mélange d'appréhension et de colère dans le regard. L'adolescent se doutait bien qu'étant donné leur passé avec l'organisme, un simple lacet défait lui suffirait pour débarquer telle la cavalerie dans le hall d'entrée.

Après sa conversation avec Béatrice, Nathanaël s'était tenu un moment immobile, assis sur son lit. Il avait commencé par lui raconter ce qui était arrivée la nuit passée. L'apparition soudaine de l'esprit dans l'après-midi, que des médiums avaient pris en charge, son réveil soudain à cause des cris, la croissance fulgurante de l'anomalie, ses préparations et sa méthode d'exorcisme... Il n'avait omis aucun détail. Ou presque. Il avait gardé sous silence le plan B qu'il s'apprêtait à mettre en œuvre quand l'équipe de l'Institut était intervenue.

Durant tout son récit, Béatrice l'avait écouté. Elle lui avait parfois posé quelques questions, de sa voix douce et maternelle, l'avait rassuré concernant ses décisions, l'avait à nouveau félicité. Puis elle avait laissé le silence s'installer quelques secondes avant de lui dire au revoir et de raccrocher. Au grand soulagement de l'adolescent, elle n'avait pas abordé elle-même le sujet de son adhésion à l'Institut. Il s'était d'abord senti coupable de ne pas avoir pu lui apporter de réponse définitive, mais une partie de la pression qui pesait sur ses épaules s'était comme envolée.

« Ne te précipite pas. Prends ton temps. » Les mots silencieux de la médium avaient accompagné ses réflexions au cours des jours suivants, jusqu'au jeudi après-midi.

Les yeux rivés sur l'Institut, Nathanaël attendit que les voitures s'arrêtent au feu rouge. (Il se revoyait, cinq ans et quatre mois plus tôt, traîné à l'intérieur du bâtiment par des agents sociaux au service de l'organisme.) Le piéton vert s'illumina en face et il avança sur les bandes blanches qui striaient la route. (Il se revoyait, cinq ans et quatre mois plus tôt, en sortir accompagné des inconnus qui avaient été chargés de l'accueillir.) Au moment où le bonhomme virait au rouge, son pied se posa sur le trottoir d'en face. (Il se revoyait, quatre ans et huit mois plus tôt, revenir à l'Institut en boitant, le genou droit horriblement gonflé et douloureux.) L'imposante porte en métal était ouverte, surveillée par un vigile qui souriait aimablement à quiconque lui présentait un carton d'invitation. (Il se revoyait, quatre ans et huit mois plus tôt, courir vers Philippine, sa souffrance presque oubliée...)

Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant