En fin d’après-midi, Nathanaël ne savait toujours pas quoi penser de sa conversation avec Fanny quand il gravit les marches qui menaient chez lui. Il s’en fallut de peu qu’il ne percute monsieur Voiron entre deux étages. L’homme marmonna de brèves excuses avant de se presser vers le rez-de-chaussée en rajustant ses lunettes.Le lycéen gravit deux marches avant de s’arrêter et de se retourner, perplexe. C'était bel et bien son voisin qu'il venait de croiser, il en était sûr. Pourtant, il avait cette étrange impression d'avoir vu un inconnu : son habituelle bonne humeur avait déserté le visage de l'homme. Il ne l’avait pas salué, armé de son large sourire, il ne lui avait pas tapoté sur l’épaule en lui souhaitant une excellente soirée…
Une étincelle de compassion s’alluma en Nathanaël. Il espéra silencieusement que ce qui l’affectait n’était pas trop grave et reprit son ascension.
À un étage de sa destination, l’adolescent sentit la chair de poule l’envahir, accompagnée d'un très mauvais pressentiment. Le malaise ne fit que s’accentuer à mesure qu’il gravissait les dernières marches, pour atteindre son paroxysme sur le palier.
Le regard de Nathanaël se fixa sur la porte des Voiron. Comme la sienne, elle était en bois, vernie, peinte en noir. La poignée et la serrure non plus ne présentaient aucune différence. Pourtant, la teinte du battant semblait vouloir l’entraîner dans des abimes insondables, la couleur cuivrée du mécanisme de verrouillage semblait terne, presque grise.
Il la sentait, bien présente, menaçante, de l’autre côté. Une anomalie spirituelle se développait chez les voisins, étendait ses tentacules malfaisants dans le moindre recoin du logement. L'état de monsieur Voiron trouvait là son explication.
Nathanaël secoua la tête pour s’arracher à sa contemplation, glissa sa clef dans la serrure de son appartement et s’y enferma. Il ne prit pas le temps de rassembler ses pensées. Sa main se tendit presque par réflexe vers le petit sachet en tissu suspendu à un clou à côté de la porte. Il se précipita dans sa chambre, le précieux talisman au creux de sa paume, et sortit la Técanos de son placard. En deux temps, trois mouvements, il avait rajouté une pincée de millepertuis et de cannelle au sort et refermé le tout avec une nouvelle ficelle rouge. Il garda un instant le sachet dans son poing serré pour le charger au maximum à l’aide de son aura. Cela fait, le lycéen replaça son œuvre à côté de la porte et admira son travail.
Pas trop mal. Mais serait-ce suffisant ? Son attention se porta sur l'appartement voisin. Catégorie deux. Peut-être même trois. Le moyen le plus efficace pour protéger tout le monde était bien évidemment de se débarrasser du mauvais esprit, mais il ne pouvait pas vraiment se permettre d'aller frapper à la porte pour proposer un exorcisme à la voisine... D'une, elle n'était peut-être pas encore rentrée du travail, de deux, il risquait d'inquiéter très sérieusement madame Voiron quant à sa santé mentale.
L'adolescent retourna donc dans sa chambre pour récupérer sa réserve de sel. L'IFSS finirait bien par détecter la menace. Ils inventeraient un prétexte bidon pour accéder à l'appartement et s'occuperaient de l'anomalie. C'était leur travail, pas le sien. Lui devait réviser son français pour faire remonter sa moyenne.
Après avoir créé une barrière supplémentaire le long des murs communs avec le logement voisin, Nathanaël s'installa donc devant son bureau et sortit ses fiches.
Pourtant, à mesure que la soirée avançait, il dut bien admettre qu'il n'arriverait à rien : une partie de sa conscience était irrémédiablement attirée par la menace qu'il sentait grandir à côté, et ce malgré ses sorts de protection. De la catégorie trois, elle grossit pour atteindre la quatre. Quand elle s'approcha dangereusement du cinq, Nathanaël laissa tomber son stylo, attrapa sa vieille boîte métallique et se précipita vers l'entrée.
Tant pis s'il perdait toute crédibilité auprès de la voisine... L'anomalie était devenue suffisamment puissante pour en attirer d'autres. Au rythme où évoluait la situation, l'appartement voisin serait d'ici peu un repère à mauvais esprits impossible à exorciser à lui tout seul.
Mais qu'est-ce qu'ils peuvent bien fabriquer, à l'Institut ? pesta intérieurement Nathanaël.
Il allait poser la main sur la poignée de la porte quand des voix de l'autre côté lui firent suspendre son geste. Curieux, il jeta un coup d'œil par le judas.
Une femme et deux hommes se tenaient devant l'appartement des voisins. Ils avaient glissé un bandeau de la police autour de leur bras, mais l'adolescent ne s'y trompa pas : l'aura dorée qui enveloppait leur corps les identifiait immédiatement comme médiums.
La chaude lumière qui illuminait leur visage apprit à Nathanaël qu'ils discutaient avec la voisine. Cette dernière finit par sortir devant chez elle pendant que deux agents de l'Institut pénétraient à l'intérieur. L'un des hommes resta avec la voisine et sortit un calepin sur lequel il se mit à gratter en acquiesçant à tout ce que la femme disait.
Le regard de l'adolescent se posa sur le visage du médium et il marqua un temps d'arrêt. Ses cheveux roux bouclés, ses yeux bleus, la petite cicatrice qui lui barrait le coin de la lèvre... Il l'avait déjà vu quelque part. Peut-être lors d'une affaire où son père avait été appelé en renfort.
Quelques secondes plus tard, Nathanaël sentit l'énergie des deux autres médiums à l'œuvre. Peu à peu, l'anomalie spirituelle perdit en force jusqu'à disparaître totalement. Ils saluèrent ensuite la voisine qui les remercia avant de rentrer chez elle.
Soulagé, l'adolescent s'apprêtait à éloigner son œil du judas quand il vit trois pairs d'yeux se braquer sur lui. Son cœur manqua un battement et il s'éloigna prestement de la porte, jusqu'au milieu du salon.
Ils n'avaient pas pu le repérer, son aura était masquée par les barrières...
Les barrières... Peut-être avaient-ils senti la faible énergie qu'elles dégageaient.
Nathanaël déglutit et fit quelques pas vers sa chambre, aussi silencieusement que possible. Tout allait bien. Il lui suffisait de ne pas répondre si les médiums frappaient à la porte. Il était en sécurité à l'intérieur.
— Je peux savoir ce que vous foutez devant chez moi ?
La voix de Philippine lui parvint depuis le palier et lui arracha un profond soupir de soulagement.
— Mais arrêtez, un peu, avec vos salades ! Je sais très bien qui vous êtes et je vous préviens, si vous vous approchez encore une fois de Nathanaël, je vous colle un procès au cul, c’est clair ?
Le battant s'ouvrit et l'adolescent se glissa à l'angle d'un mur pour voir sans être vu.
— Enfin, madame, calmez-vous ! Nous n'avons aucune idée de ce dont vous parlez, se défendit l'un d'eux.
Il eut à peine le temps de terminer sa phrase que Philippine lui claquait déjà la porte au nez. Encore fulminante, elle baissa les yeux sur le sol et se tourna vers Nathanaël.
— Qu'est-ce que c'est que ce sel sur le sol, encore ! pesta-t-elle.
— Il y avait une anomalie chez les voisins, j'ai renforcé nos barrières... s'empressa-t-il d'expliquer.
La furie qui brillait dans les yeux de l'infirmière s'apaisa aussitôt. Son regard se dirigea vers le palier où se tenaient les médiums.
— Oh... comprit-elle. Oups.
— Comment tu as su qui ils étaient ?
Si elle voyait tous les inconnus qui se présentaient sur le pas de sa porte comme des suspects, Nathanaël craignait qu'elle ne finisse au poste pour outrage à (véritable) agent un jour. Heureusement, Philippine tapota son nez et lui fit un clin d'oeil :
— À l'odeur... Ils sentaient l'encens et les herbes, c'est quelque chose qui ne trompe pas quand on vit avec des énergumènes comme vous.
L'adolescent porta sa manche à son nez. Rien. Peut-être était-il trop habitué à son propre parfum.
Philippine acheva de retirer ses chaussures et son manteau avant de se traîner jusqu'au canapé dans lequel elle se laissa tomber.
— Alors, ces révisions de français, ça avance ? s'enquit-elle ce faisant.
Nathanaël grimaça et fit volte-face pour rejoindre ses fiches.
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Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)
Fantasia⚠️ 𝐒𝐞𝐮𝐥𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐭𝐢𝐞́ 𝐝𝐮 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐩𝐨𝐧𝐢𝐛𝐥𝐞 Dans la Ville Lumière, les ombres n'attendent pas que vous les regardiez pour vous rendre la pareille... Dans la vie, Nathanaël n'a que deux aspirations :...