Chapitre 6 (2/3)

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Le troisième étage de l'Institut ne différait en rien de celui où s'était tenue la soirée la veille : couloirs immaculés, sols en parquet, néons blancs au plafond.

Béatrice et Georges souhaitèrent bonne chance à l'adolescent à la sortie de l'ascenseur avant de redescendre pour se préparer à leur nuit de travail.

Une fois seul, Nathanaël s'avança de quelques pas hésitants. Aussi loin que portait son regard, ne se présentaient à lui que des portes closes. Il repéra finalement une alcôve de quelques mètres carrés sur sa gauche, décorée de plantes vertes et de chaises en plastique. Il s'était rendu à suffisamment de rendez-vous médicaux dans sa vie pour reconnaître une salle d'attente, malgré l'absence de posters sur la vaccination.

Fort de son expérience, il choisit la chaise la plus éloignée du couloir, à côté du coin des magazines. Il feuilletta les pages écornées de l'un d'eux, s'arrêta à la rubrique lithothérapie et en lut quelques lignes.

Les vibrations de son téléphone dans sa poche le tirèrent de sa lecture.

« Coucou, Nana ! Tu es au Louvre ? Tu rentres à quelle heure ? »

L'adolescent grimaça. Il avait oublié de prévenir Philippine... Enfin... « Oublié » était un grand mot. Il y avait pensé à plusieurs reprises depuis qu'il avait pris sa décision, mais avait repoussé l'annonce pour plus tard, quand il saurait comment formuler les choses... Malheureusement, ce n'était toujours pas le cas.

Il demeura un instant les yeux fixés sur l'écran, ses pouces suspendus au-dessus du clavier tactile. Après avoir sorti trois fois son téléphone du mode veille, il tenta enfin quelques mots.

« Je suis à l'Institut, je ne sais pas trop quand j'arriverai. Je te tiens au courant ! »

Il envoya son message la boule au ventre et attendit. Il s'imaginait déjà la réponse colérique de Philippine, ses reproches... Peut-être même allait-elle venir le chercher en hurlant... Il regretta soudain son choix. L'infirmière s'était donnée tant de mal pour le tenir éloigné de l'organisme... À raison... Et lui la remerciait en se jetant une nouvelle fois dans leurs bras.

Son téléphone se mit à vibrer. Plus longtemps. Régulièrement. Le nom de Philippine s'était affiché sur l'écran. Nathanaël se débarrassa de son magazine, soudain lourd et encombrant sur ses genoux. Il fixa l'appareil, espérant vainement que celui-ci se calmerait, que c'était une erreur... Il contempla un instant le combiné rouge en bas à droite. Il lui suffisait d'appuyer dessus. Il pourrait prétendre être en rendez-vous...

Cette perspective ne fit qu'accroître sa culpabilité. La main moite, il fit donc glisser le bouton vert vers le haut pour prendre l'appel.

— Allo ?

— Nana ! Qu'est-ce que tu fiches là-bas ? Il s'est passé quelque chose ? Ils t'ont enlevé ? Tu veux que je vienne te chercher ?

— Non... Non, tout va bien...

La panique qu'il entendait dans le ton de Philippine ne fit que tordre davantage ses boyaux. Les mots se bousculaient dans sa tête : excuses, agacement, paroles rassurantes, plaisanteries... Il ne savait pas vraiment quelle suite donner à la conversation pour entendre une autre émotion dans la voix de l'infirmière.

Celle-ci dut sentir son appréhension. Elle laissa le silence s'installer quelques secondes, puis reprit, plus calme :

— Tu as décidé de les rejoindre, c'est ça ?

Malgré l'once de déception qu'il perçut derrière sa douceur, cette dernière rassura quelque peu Nathanaël. Il acquiesça silencieusement. D'une façon ou d'une autre, Philippine comprit.

— Nana... C'était ça qui te tracassait ces derniers jours ? Pourquoi tu ne m'en as pas parlé ?

— Tu aurais dit non... répondit-il simplement, la gorge nouée.

Un soupir lui parvint depuis l'autre bout du fil. Il déglutit.

— J’avoue que je n’aurais sans doute pas très bien accueilli la nouvelle… Je suis à deux doigts de sauter dans mes chaussures pour te ramener à la maison de gré ou de force, en fait. Mais je ne le ferai pas. Parce que ce ne serait pas juste pour toi.

La réponse laissa une page blanche dans l’esprit de Nathanaël. Philippine, qui n’avait jamais tari de calomnies sur l’Institut, ne lui ordonnait pas de rentrer sur-le-champ ? Elle ne se fâchait pas ?

Tu n’es plus un enfant, tu as le droit de prendre tes propres décisions, quelles qu’elles soient… Je te fais confiance, donc je soutiens ton choix ce soir. Par contre, la prochaine fois, j’aimerais qu’on en discute ensemble avant… Tu es peut-être mature pour ton âge, mais tu n’es pas encore adulte : écouter l’avis et les conseils de la vieille que je suis ne pourra que t’être bénéfique…

Il ne vit pas le clin d’œil, mais il l’entendit dans les dernières paroles de l’infirmière. Un sourire se dessina sur ses lèvres et il laissa échapper un petit rire soulagé. Il réprima néanmoins la vague d’émotions qui menaçait de lui tirer une larme : il ne voulait pas avoir à expliquer ses yeux rougis à quiconque passerait par là.

— Merci… marmonna-t-il tout de même. Et tu n'es pas vieille... Enfin... Pas tant que ça...

Fais gaffe à ce que tu dis, toi ! pouffa-t-elle. Je suis à l’appart’ toute la soirée, s’ils ont des papiers à me faire signer… Et ils ont intérêt, je me ferai une grande joie de lire jusqu’aux plus minuscules des petites lignes…

Nathanaël retint un nouvel éclat de rire. Philippine laissa le silence s’installer quelques instants, puis elle soupira :

Bon, je te laisse, je vais rattraper mon retard sur notre série… On pourra se regarder la suite tous les deux quand tu rentreras. Tiens-moi au courant pour l’heure !

Tous deux se saluèrent et l’adolescent raccrocha sans se départir de son sourire. Même si une partie de son appréhension demeurait, à l’image de l’inquiétude qui devait sans doute étreindre Philippine, le reste s’était mué en soulagement et en une furieuse envie de sourire bêtement à la plante verte qui lui faisait face.

Il reprit son magazine et le feuilleta sans réussir à se concentrer dessus ; ses sens étaient entièrement dirigés vers les sons du couloir. Lorsque, enfin, le bourdonnement constant des néons fut couvert par le tintement de l'ascenseur, suivi du claquement régulier de talonnettes sur le parquet, il leva discrètement le regard pour guetter le nouveau venu.

Des chaussures noires cirées et le bas d'un pantalon de costume parfaitement repassé apparurent dans son champ de vision avant de s'immobiliser.

— Nathanaël Jackowski ?

Il redressa la tête vers l'homme et marqua un temps d'arrêt quand il reconnut la coiffure soignée, le sourire chaleureux ainsi que l'absence d'aura de son interlocuteur : c'était la personne qui avait pris la parole en premier lors de la soirée de la veille.

Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant