Le lendemain matin, Nathanaël eut la désagréable impression que les rôles s'étaient inversés par rapport à la veille : au cours des deux premières heures de cours, il comptabilisa vingt-cinq regards en coin de Fanny et cinq appuyés. L'adolescent fit de son mieux pour l'ignorer, observant tantôt les pigeons qui arpentaient le rebord de la fenêtre, tantôt le professeur de mathématiques... Lorsque sonna la récréation, il s'éclipsa rapidement pour éviter tout contact avec sa camarade.
Il n'était pas en colère, il n'était pas embarrassé, il n'avait pas peur. Il ne savait tout simplement pas comment se comporter face à elle maintenant que son secret était éventé.
Leur petit jeu dura jusqu'à la récréation de l'après-midi durant laquelle, coincé par Sam et ses amis dans un couloir, Nathanaël ne put que constater, impuissant, que Fanny s'avançait droit sur lui.
— Bah alors, papy Jacko, on dirait que ta petite copine t'a enfin remarqué ! Tu ne vas pas t'enfuir, quand même ? gloussa l'adolescent en passant un bras sur ses épaules.
Étant donné l'hésitation qui dégoulinait des gestes de Sam, Nathanaël n'eut aucun mal à se dégager. Il tenta une évasion. Celle-ci fut promptement interrompue par l'un des deux acolytes.
— Je suis pas d'humeur, les gars... marmonna-t-il.
Ce fut à cet instant que Fanny se glissa dans le cercle et vint se planter devant lui, bras croisés. Ses yeux ne plaisantaient pas. Aucun des trois apprentis gros bras n'osa ouvrir son clapet.
— Je peux te parler ?
Ce fut ainsi que Nathanaël se retrouva seul à seule avec la lycéenne, dans un coin de la cour un peu à l'écart. Sous ce froid hivernal, ils n'eurent pas à s'éloigner excessivement pour trouver un peu de calme. Si l'adolescent n'avait toujours pas la moindre idée de comment débuter la conversation, il constata rapidement que, malgré son insistance, c'était également le cas de Fanny. Heureusement pour eux, elle finit par trouver une formule qui lui convenait et se lança :
— Alors... Ça va depuis hier ?
— Oui... Et toi ?
— Pareil.
Silence. Le retour à la case départ s'accompagna d'un degré d'embarras supplémentaire.
Nathanaël balayait la cour du regard, à la recherche d'une échappatoire. Les rares élèves élèves présents se couraient après, d'autres discutaient, une grande majorité pianotait sur leur portable... Hélas, aucun ne semblait décidé à le tirer de là. Aucun ne s'intéressait suffisamment à lui pour cela.
— Donc... Je sais, maintenant.
— Oui...
Sa réponse succinte lui valut un sourcil levé. Il haussa les épaules. Que voulait-elle qu'il lui dise ? Les médiums de l'IFSS avaient sans doute été plus clairs et plus pédagogues que lui...
— J'ai décidé de suivre les cours du soir, annonça-t-elle. Je commence aujourd'hui. Et toi ?
— Non. Pas mon truc.
Nathanaël ne s'épencha pas davantage sur les raisons de sa décision. Heureusement, Fanny ne lui en tint pas rigueur. Au contraire, un sourire fleurit sur son visage.
— C'est vrai que tu n'as pas l'air d'en avoir besoin. Tu fais ça depuis longtemps ?
— Depuis tout petit.
— Ta famille est dans le métier ?
Il acquiesça. Devant son manque d'enthousiasme, l'air enjoui de sa camarade se fâna quelque peu. Nathanaël se sentit coupable. Malheureusement, son esprit restait désespérément vide de tout sujet de conversation qu'il était disposé à aborder.
— Alors... Pour hier... Est-ce que tu me suivais parce que tu savais qu'il allait se passer quelque chose ?
— Non, mais je m'en doutais, répondit l'adolescent, embarrassé. Tu as changé de sac.
Sa camarade le dévisagea avec incompréhension. Il se rendit alors compte qu'il était difficile de faire le lien entre ses deux phrases en l'état.
— J'avais... glissé un talisman de protection dans l'ancien. Comme tu en as pris un nouveau, ton aura n'était plus contenue et... Bref, tu allais attirer tout plein de mauvais esprits.
— Un talisman... Comme celui-là ?
Elle attrapa la petite corde passée autour de son cou et sortit de sous son t-shirt bleu un sachet en tissu blanc fermé d'un fil rouge. Aux yeux de Nathanaël, le tout brillait d'une intense lueur dorée, aspirant en son sein l'aura encore volatile de Fanny.
— Ces hommes... Les médiums... me l'ont donné hier. Ils m'ont dit que ça empêcherait ces trucs de m'attaquer.
L'adolescent acquiesça.
— Il absorbe ton aura et s'en sert pour construire un bouclier avec cette énergie. Donc non seulement les anomalies spirituelles auront plus de difficultés à te repérer, mais si c'est le cas, elles ne pourront pas t'atteindre.
Fanny tourna le talisman dans tous les sens, les yeux brillants d'intérêt et de curiosité.
— Je saurai faire tout ça un jour, tu crois ? Me protéger, protéger les autres, détruire ces mauvais esprits ?
— Je ne vois pas pourquoi tu n'y arriverais pas.
— Même si je suis née dans une famille normale ? Enfin... Si on peut qualifier de « normale » une famille qui a la pire poisse du monde...
Elle laissait échapper un petit rire jaune qui ne fit qu’augmenter le malaise de Nathanaël.
Il ne rebondit pas sur sa dernière remarque. Apprendre qu'il existait dans le monde des êtres dangereux et intangibles, passait encore. Mais s'entendre dire que l'on était responsable du malheur de sa famille, c’était difficilement supportable.
Et pourtant... Les enfants sensibles nés au sein de familles ordinaires n'étaient pas surnommés « aimants » pour rien. Pendant combien d’années avait-elle attiré les mauvais esprits dans son sillage jusque chez elle ? Combien d’épreuves malheureuses ses proches et elle avaient-ils traversées ? Nathanaël n’osa pas demander. Fanny avait déjà de la chance de ne pas avoir fini dans un orphelinat. Les enfants comme elle grandissaient rarement entourés d'amour.
— Je ne vois pas pourquoi tu ne pourrais pas devenir médium malgré ton parcours... fit-il remarquer en essayant de masquer son trouble. Tu as une aura qui m'a l'air suffisamment puissante pour l'exercice... Et puis, si ces types de l’IFSS t’ont proposé d’intégrer le programme, c’est qu’ils t’estiment capable d’y arriver.
Fanny ne semblait pas s’être aperçue de l’éclair de pitié qui avait assombri un instant le regard de son camarade. Au contraire, sa dernière déclaration fit apparaître un air rassuré sur son visage.
— Tant mieux, alors… De toute façon, si je n’y arrive pas, j’arrêterai, voilà tout ! Mais si je peux devenir suffisamment compétente pour ne pas me faire balancer par terre par le premier sauveur venu, ce sera déjà une belle victoire !
Elle accompagna la fin de sa phrase d’un clin d’œil qui fit rougir Nathanaël de honte. Satisfaite de sa petite vengeance, elle tourna les talons et s'éloigna en direction de la porte la plus proche. L’adolescent demeura immobile dans son coin un moment encore.
Décidément, cette conversation avait été catastrophique du début à la fin.
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Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)
Fantasy⚠️ 𝐒𝐞𝐮𝐥𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐭𝐢𝐞́ 𝐝𝐮 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐩𝐨𝐧𝐢𝐛𝐥𝐞 Dans la Ville Lumière, les ombres n'attendent pas que vous les regardiez pour vous rendre la pareille... Dans la vie, Nathanaël n'a que deux aspirations :...