— Nana...
La main de Philippine se posa sur son épaule et il sentit l'infirmière s'assoir sur son lit. Elle resta là, immobile et silencieuse.
Nathanaël attendit que les larmes se tarissent, que son calme revienne. Il eut un peu honte de lui... Comment pouvait-il prétendre être un adulte (ou presque) s'il laissait ses émotions l'envahir ainsi ? Il n'était pas faible. Mais les hommes forts ne pleuraient pas...
— Tu veux en parler ?
La voix de Philippine, en retrait, douce, le tira de ses pensées. Sa présence n'était pas pressante. Elle n'était ni curieuse, ni insistante. Il lui en fut reconnaissant. Il voulait recouvrer un peu plus ses esprits avant de lui raconter. Il ne voulait pas risquer de pleurer à nouveau.
L'infirmière comprit ce que signifiait son silence. Elle se leva.
— Je serai à côté.
Ses pas s'éloignèrent et Nathanaël l'entendit s'assoir dans le canapé. Le calme s'installa alors dans l'appartement. Pas une voix n'émanait de la télévision, pas un bruissement de page n'annonçait l'ouverture d'un livre. L'adolescent s'imagina Philippine, les yeux perdus dans le vide, en train d'attendre qu'il vienne la rejoindre.
Il n'en avait pas envie. Blotti dans le confort de sa couette, cocon de chaleur apaisant, il ne voulait plus affronter la froideur du monde extérieur.
Un petite étincelle de colère s’alluma alors au creu de son cœur. Contre son père, contre l'Institut, contre l’univers. Il la saisit. Souffla dessus pour l'attiser, jusqu'à ce que sa peine se retrouve masquée par l'incendie qui commençait à ravager ses entrailles.
Une fois suffisamment remonté, il repoussa sa couette, attrapa le dossier que lui avait imprimé Baptiste et rejoignit Philippine dans le salon. Comme il s'y attendait, elle était assise dans le canapé, immobile.
Arrivé devant elle, il jeta les feuilles sur la table basse.
— Tu le savais ?
L'infirmière se pencha sur le dossier en fronçant les sourcils. Quand l'adolescent vit l'incompréhension naître dans son regard dès les premières lignes, il eut sa réponse avant qu'elle ne la formule à voix haute.
— Non... Non, Nathanaël, je l'ignorais.
Elle se plongea une nouvelle fois dans le silence tout en épluchant les papiers, le visage fermé. Enfin, elle soupira et tapota le canapé à côté d'elle pour inviter le lycéen à la rejoindre. Il s'exécuta.
— Tu ne m'aurais pas montré ce dossier, j'avoue que je ne t'aurais pas cru... commença-t-elle. Je trouvais même que plus tu grandissais, plus tu lui ressemblais, notamment en carrure, ou dans ta démarche.
Elle se tut quand elle vit le visage de Nathanaël s'assombrir.
— Je m’en veux un peu… poursuivit-elle enfin. Je n’ai jamais vraiment regardé ton livret de famille quand je t’ai récupéré… J’étais tellement soulagée que je l’ai rangé sans l’ouvrir. Je t’en aurais parlé avant si je l’avais su. Je suis désolée, Nana.
L’adolescent laissa le silence s’installer à nouveau. Il n’avait pas envie d’en vouloir à Philippine. Elle comprenait sa douleur, il le sentait.
— En tout cas, je veux clarifier une chose : quelle que soit ton origine, que vous soyez liés par le sang ou non, je peux t'assurer que Manuel t'aimait du fond du coeur. Je n'approuve pas sa décision de t'avoir caché un secret pareil... Très franchement, s'il m'en avait parlé, tu aurais été mis au courant aussitôt... Mais ton père reste ton père, et pas seulement grâce à ce bout de papier.
Elle désigna la copie de l'acte d'adoption d'un signe de tête dédaigneux.
L'adolescent acquiesça. Ce que lui disait Philippine, il le savait déjà. Mais l'entendre de la bouche de quelqu'un d'autre, la personne en qui il avait le plus confiance, de surcroit, le réconforta grandement.
— Mais quand même... pourquoi ? reprit l'infirmière, la voix vibrante de colère. Pourquoi ne t'a-t-il rien dit ? De quoi avait-il peur ? Que tu le détestes ? Avec son caractère de papa gâteau ? Quel idiot...
— Pas étonnant qu'il ne m'ait jamais parlé de maman... renchérit Nathanaël, porté par le soutien de Philippine.
L'infirmière acquiesça en croisant les bras contre sa poitrine.
— Quand je lui ai posé la question, il s'était montré évasif et m'avait promis qu'il m'en parlerait un jour... Je me demande ce qu'il comptait vraiment me dire, finalement...
Nathanaël ne répondit pas. Il s'enfonça dans le dossier du canapé. Il aurait aimé y disparaître. Disparaître comme son identité, comme tout ce qu'il avait cru savoir sur lui-même. À sa naissance, il n'était pas le fils de Manuel. Il n'était pas le petit-fils de cette femme qu'il avait appelée affectueusement « Mamie » pendant sept ans. Il n'était même pas un Jackowski...
Qui était-il ?
Le question lui tira un profond soupir. Il aurait préféré ne rien savoir. Si seulement il était possible de remonter le temps... Il ne serait pas allé à l'Institut ce jour-là...
Non. Il ne voulait pas revenir en arrière pour se complaire dans le mensonge. Il apprendrait à vivre avec. Peut-être trouverait-il un jour le courage d'affronter sa vérité... Peut-être rencontrerait-il un jour ses vrais parents...
Mais voudraient-ils seulement le voir ? Lui qui avait dû leur attirer les pires des malheurs dès sa naissance au point d'être abandonné avant même de savoir parler ou marcher, peut-être avaient-ils été soulagés en se débarrassant de lui. Et s'il revenait, même armé contre les anomalies et protégé, son père et sa mère biologiques, ignorant tout de son monde, ne l'accueilleraient sans doute pas à bras ouverts.
Il était un aimant, comme Fanny. Il les avait toujours considérés avec pitié et un peu de condescendance, mal lui en avait pris.
— Resto ce soir ? proposa soudain Philippine.
Il tourna les yeux vers elle, surpris. Ils réservaient d'ordinaire leurs sorties aux occasions exceptionnelles, comme les anniversaires ou le brevet des collèges... Nathanaël ne s'attendait pas à ce que Philippine lui fasse une telle proposition le jour où il apprenait avoir été abandonné quand il n'était encore qu'un bébé.
L'infirmière dut remarquer son ahurissement. Elle haussa les épaules et lui sourit :
— On peut bien fêter ton admission à l'Institut, non ? À moins que les derniers événements ne t'aient fait changer d'avis ?
À la petite qui lueur brillait au fond de son regard l'adolescent comprit que cette éventualité ne lui déplaisait pas vraiment. Nathanaël secoua la tête en laissant un sourire timide émerger sur ses lèvres. Sa décision n'avait rien à voir avec sa famille : quelles que soient ses origines, il voulait aider.
Le visage de Philippine s'éclaira de fierté quand elle conclut :
— Italien ? Japonais ?
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Le Sang des marionnettistes T.1 (50%)
Fantasi⚠️ 𝐒𝐞𝐮𝐥𝐞 𝐥𝐚 𝐩𝐫𝐞𝐦𝐢𝐞̀𝐫𝐞 𝐦𝐨𝐢𝐭𝐢𝐞́ 𝐝𝐮 𝐫𝐨𝐦𝐚𝐧 𝐞𝐬𝐭 𝐝𝐢𝐬𝐩𝐨𝐧𝐢𝐛𝐥𝐞 Dans la Ville Lumière, les ombres n'attendent pas que vous les regardiez pour vous rendre la pareille... Dans la vie, Nathanaël n'a que deux aspirations :...