Chapitre 33

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Bip... Bip... Bip...

Que quelqu'un arrête ce réveil ! Mon cerveau ne supportera pas plus longtemps tant de grabuge. Je tends la main pour trouver le bouton d'arrêt mais j'en suis incapable. Mon bras refuse de coopérer, aussi lourd que du béton. Qu'est-ce qu'il m'arrive ? Je retente encore une fois mais j'échoue à nouveau. Mon corps ne semble pas vouloir répondre à mes ordres.

Bip... Bip... Bip...

Ce son résonne dans ma tête. C'est douloureux.

J'essaie de me concentrer pour esquisser un mouvement. J'essaie d'ouvrir les yeux en même temps mais mes paupières semblent être collées entre elles. J'insiste et réussis à les séparer l'une de l'autre mais celles du haut retombent aussitôt. Ça aussi c'est trop douloureux. Ouvrir les yeux me demande un effort aussi surhumain que le simple fait de bouger la main.

Je commence sérieusement à m'inquiéter. Que m'arrive-t-il ? Où est-ce que je suis ? Je n'ai aucun mal à me souvenir des dernières images qui affluent dans mon esprit. Est-ce que le contre-sort a fonctionné ? Quand j'ai ouvert le pot le ciel s'est déchiré en deux et je me suis sentie partir dans une puissante lumière blanche.

Est-ce que je suis morte ? J'ai souvent entendu parler de ce tunnel dans lequel on avance quand on quitte son corps terrestre. Bah si c'est ça, c'est vachement rapide et ça vaut pas vraiment le coup d'œil, si vous voulez mon avis. D'autant plus que maintenant je suis coincée et dans le noir complet qui plus est. Pas terrible comme sensation, moi qui ai toujours pensé mériter ma place au paradis.

Je ne peux pas être morte. Pour quelles raisons le serais-je ?

Bip... Bip... Bip...

Le son me fait un peu moins mal à la tête. Je me concentre à nouveau pour tenter de bouger quelque chose. Un petit doigt, oui c'est ça, on va essayer de remuer le petit doigt pour commencer.

Je laisse la liaison se faire entre ma pensée, mon cerveau et mon auriculaire. Je crois que je sens quelque chose. Doucement mais sûrement je sens mon articulation se plier et se déplier de façon un peu désordonnée mais tout de même, j'y suis arrivée. J'ai envie de crier victoire mais bien évidemment aucun son ne sort de ma bouche.

Par contre, une voix se met à hurler trop près de moi. Elle s'éloigne néanmoins quelques secondes et revient presque aussitôt.

— Docteur ! Un docteur ! Putain mais où est-ce qu'ils sont tous passés ?

En me concentrant suffisamment j'arrive à percevoir les pas de cet homme qui vont et viennent, tantôt piétinant près de moi tantôt s'éloignant, accompagnés d'une voix qui maugréé. Cette voix me semble familière mais mon cerveau embrumé n'arrive pas à la situer.

— Lila ? Lila, tu m'entends ? Si tu m'entends bouge le petit doigt, je t'ai vu faire. Je sais que tu peux le refaire.

L'homme est revenu près de moi. Il me saisit alors la main et la presse doucement. Je ne peux toujours pas ouvrir les yeux mais je sens sa peau contre la mienne, elle est chaude et douce. Il trace de petits ronds avec son pouce sur le dos de ma main et m'encourage encore à bouger. Je ne sais pas qui il est mais j'ai envie de lui faire ce plaisir alors je me concentre à nouveau et sers sa main en retour. Il manque de s'étouffer de surprise.

— Oh Lila ! Oui, tu es là ! Je reviens, je dois trouver un docteur. Ne bouge pas d'ici d'accord ?

Il rit de sa propre bêtise mais me lâche la main. Non ne pars pas ! J'aime ce contact de sa peau contre la mienne, j'ai l'impression d'y avoir déjà goûté.

Des bruits de pas se font entendre. Ils sont plusieurs à courir vers moi.

— Je vous dis qu'elle a bougé ! D'abord le petit doigt puis elle m'a serré la main, dit la voix familière.

— Écartez-vous qu'on puisse l'ausculter. Madame Malvoye, est-ce que vous m'entendez ?

Quelqu'un saisit la paupière de mon œil gauche et la soulève si brusquement que j'ai l'impression qu'il va me l'arracher. Un faisceau lumineux traverse ma pupille. Désagréable sensation.

Galvanisée par l'adrénaline, mon bras sort enfin de sa torpeur et ma main saisit le poignet du malotru pour repousser ses assauts. Mes yeux s'ouvrent alors en grand mais tout est tellement flou. Je suis si éblouie par la luminosité que je crains que le fameux docteur ne soit encore en train de sonder mon âme à travers mes globes oculaires.

— Madame Malvoye, tout va bien. Vous êtes en sécurité.

La dernière fois que l'on m'a dit ça j'avais fait un saut magistral dans une faille spatio-temporelle. Où est-ce que ce foutu pot de miel m'a amené cette fois-ci ?

Je n'arrive pas à relâcher ma prise sur le poignet du docteur qui tente en vain de m'écarter les doigts pour se libérer. Mon instinct me pousse à serrer plus fort. Tout est brouillé devant mes yeux. Il y a toujours ce bip incessant qui sonne à mes oreilles. L'angoisse me prend de ne pas savoir où je suis et pourquoi je n'arrive quasiment pas à bouger. Ce poignet est ma bouée de sauvetage, si je le lâche j'ai peur de partir à la dérive. Encore une fois.

— Lila, desserre les doigts.

Une silhouette masculine se penche vers moi, je la devine dans le brouillard ambiant. Cette voix qui chuchote doucement me remue les tripes. Je la connais quoiqu'elle soit légèrement plus grave.

Il pose ses doigts sur les miens et d'une petite pression me force à relâcher le docteur. Je me laisse faire. Je ferai tout ce qu'il voudra tant qu'il ne me lâche pas la main.

Ma vision se fait plus claire à mesure que les secondes passent. Mes sensations reviennent elles aussi. Je suis allongée sur un lit beaucoup moins confortable que celui dans lequel j'ai atterri la première fois. J'essaie de me redresser mais c'est trop difficile, mon corps semble ne plus m'appartenir, il est lourd et faible à la fois.

— Tu ne dois pas bouger Lila, reprend la voix familière.

— Gu...

— Ne parle pas, tu es trop faible.

Sa main ressert sa prise sur la mienne. Mes yeux terminent de faire la mise au point et son visage m'apparaît alors, entouré d'un halo de lumière. Le visage d'un ange. C'est bien lui. Guillaume est là.

Je voudrais lui dire quelque chose mais ma voix est éteinte comme si elle n'a pas servi depuis longtemps. Comment c'est possible ? Et j'ai soif, vraiment très soif. Je remue la tête et tente de regarder autour de moi. Ces blouses blanches qui se tiennent derrière Guillaume. Est-ce que je suis à l'hôpital ? Comment j'ai atterri ici ? Le pot de miel a encore fait des siennes, c'est ça ?

Je recouvre peu à peu mes sens et mon acuité visuelle. Je suis allongée dans un lit d'hôpital et des fils me sortent par tous les trous. Le bip lancinant que je prenais pour un réveil-matin n'est autre que le bruit de l'électrocardiogramme auquel je suis reliée par toute une batterie de patch collés sur ma poitrine.

Les docteurs s'agitent autour de moi mais je n'ai d'yeux que pour Guillaume qui se tient légèrement en retrait, l'air complètement hagard, et inquiet.

Je prends une profonde inspiration pour répondre à leurs questions mais je fais vite preuve d'impatience.

— Pourquoi je suis ici ? demandé-je d'une voix rauque et faiblarde.

— Vous sortez d'un coma qui a duré presque un mois Madame Malvoye, me répond une femme en blouse blanche.

Je manque de m'évanouir. Je ne peux pas croire ce qu'elle me dit. Je fais le tour de la flopée de médecins et d'infirmiers en tout genre qui ont envahis l'espace de ma chambre. Personne ne sourit, tous affichent un air grave et professionnel. Je regarde alors Guillaume qui se fraye un chemin jusqu'à moi. Je le questionne sans rien dire et il hoche la tête pour confirmer les propos de la dame en blanc.

— Quel jour on est ? demandé-je alors, réussissant à me redresser sur les coudes comme prise d'un mauvais pressentiment.

Guillaume regarde sa montre.

— Le seize mars.

— De quelle année ?

— Deux mille vingt.

Amour et... Pot de miel! (WATTYS2022)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant